on verra plus tard

 
 

À cet instant, b. se sent observé, hésite, ouvre un œil, réflexe, pourquoi voir b. sait déjà – ces (petites) pattes de mouche, tiens il ne l’a pas entendue arriver, comment rester dans ce paisible engourdissement – si seulement cette fois il ne rassemblait pas ses esprits ; pourquoi chasser la mouche d’ailleurs, se demande quand même l’espace de cet instant : que peut bien regarder cette mouche de ses trois mille et quelques yeux, le vit la flaque la main (qui pourrait bien l’écrabouiller d’un geste soudain), ou tâche de fouiller entre les cuisses ou le fixe droit dans les yeux – de ce qu’elle regarde que peut-elle bien voir ou au contraire de ce qu’elle voit que veut-elle bien regarder – b. n’en saura jamais rien b. se pose toujours trop de questions sans plus même attendre de réponses, b. soupire, b. garde la mouche distraitement à l’œil, en coin et s’en retourne songer – rêveries accoutumance radicale poison lent infaillible vastes plaisirs et vertiges inconsidérés; b. referme les paupières, ici b. hésite à s’endormir: b. préfère toujours se lover dans les rêves qu’il fait éveillé plutôt que dans ceux qui peuplent sa nuit à force de regarder le jour; car b. demande la lune et c’est encore bien peu quand on est doux rêveur,
 

b. pense rêver d’absolu mais ne fait que rêvasser ; b. imagine b. s’imagine ; b. se fait des films ne sait raconter aucune histoire toujours avant la fin de l’histoire b. s’endort ; et rêvasser même pas, ressasser, ressasser explicite palindrome b. revient toujours d’où il part ; mais qu’est-ce qui brouille comme ça la vue, b. faut pas l’embrouiller, b. après il cherche à embrouiller le monde et ça le fatigue alors b. va se recoucher ; car avec ça b. est exigeant, s’exige et ça l’épuise, épuisé le b. et ça le perdra l’exigence (b. le sait), exigence moindre des choses si seulement, pas grand chose mais surtout pas d’à peu près d’environs, s’exiger c’est vouloir jouir, je-tu-il-elle-nous-voulons-tout, tout tout et tout, tout et son contraire, quitte à s’embrouiller toujours plus c’est tout ou rien, et deux-tu-l’auras plutôt qu’un-seul-tiens – b. prend patience, b. préfère encore fermer les yeux, alors reste à jouir et jouir n’est pas rien et pourtant simple bagatelle : corps chair bidoche peaux plis trous, mon œil, tiens mon cul: un tiens, deux tu l’auras peut-être, b. verra bien,
 

que voit-on mieux avec plusieurs milliers d’yeux, cette mouche volette à vue par centaines de battements d’ailes chaque seconde petite boule complexe de muscles d’articulations d’élytres, et jamais dans le droit chemin avec ça, et avec ça quelles épatantes prouesses de vol, et avec ça côtoie les araignées au plafond quitte à se fourvoyer dans quelque étoile rédhibitoire – à chaque mouche un bête accident qui clôt le récit, mais ne parlons pas de malheur ici – comment a cheminé cette mouche pour en arriver là, qui en a vu d’autres et là à cet endroit à cet instant plus elle s’approche mieux elle y voit (est-elle venue voir de plus près) ou plus elle s’éloigne plus elle en voit (voudra-t-elle prendre du recul) mais une fois repartie se retourne-t-elle ? car de quel type de b. ces cuisses cette bite cette main qu’on voit celle que l’on suppose sont-ils des bouts négligeables – de quel minuscule monde cet instantané est-il une dérisoire bribe : que peut-on y voir à la rigueur à la limite, autour devant derrière avant pendant et après – et alors, quoi ?
 

Alors, voyons voir : à l’arrière la main gauche se fait petite (et crispée, encore) que peut bien foutre la main droite et cette bite qui finit à peine de bouger et le ventre et ces cuisses, sans les mains que tâche-t-on que touche-t-on l’œil voit et toujours la main regarde ailleurs, ce que la main convoite que l’œil s’en saisisse : on regarde mais on ne touche pas, alors b. retourne dans son coin, le monde se mesure d’un premier coup d’œil d’un dernier coup de mains et le reste du corps s’ensuit (car b. ne cesse de se mesurer au monde œil pour œil face contre terre tout contre et qui gagne à la fin on n’est sûr de rien), b. se terre et reluque, dans un autre coin du tableau il y a toujours une mouche prête à sortir sa trompe un b. tapi saurez-vous trouver b. tiens que fait b. dans ce trou, et prêt à bondir poings-pieds et griffes-dents, b. s’en fout plein les yeux plein les mains plein le cul car b. a les mains plus grosses que le ventre plus gros que les yeux, touchetouche b. pense tenir le bon bout: maintenant que j’te tiens j’te lâche plus, vas-y qu’on s’frotte s’contamine et tout le reste, tu me touches tellement et je m’attache si facilement fais moi tout ce que tu voudras que je te fasse, et allez tiens : jouissons entravés
 

à qui quoi pense b. quand il s’en branle, b. ferme-t-il les yeux quand il se branle, à quoi qui pense b. quand il ferme les yeux, b. vous le demande voit-on mieux quand on touche plus fort ou touche-t-on mieux quand on y regarde de plus près ? Pulsions scopiques et résolution tactile, b. se goinfre de gros plans explicites mais que raconte le liquide séminal – à quoi le corps de b. s’ajoute tout est déjà si confus, et tout ça ne sont que des mots à peine des images floues encore moins un fatal corps à corps, qu’est-ce qui fait se trémousser b. lui fait tant d’effets – au fond, tout ce qui excite b.
 

on jouit bien de certaines vues mais une longue-vue n’a jamais permis de partir dans la lune et quand le doigt se tend vers la lune, sans surprise aucune, b., feignasse, fait mine de voir – corps bandé vers le ciel agrandi par la pointe des pieds b. piétine patauge glisse s’abîme dans la boue s’enfonce pieds chevilles jambes mains bras doigts, dans la boue il n’y a que trous à creuser, les mains s’ébranler b. n’en a rien à faire rien à en faire rien à y faire en faire le moins possible, rien à faire foutre branler, ici et là c’est déjà après-coup après quoi après toi je t’en prie et c’est à ce moment précis que la mouche arrive et enfin qui regarde qui ?, dans la boue b. jette un œil au fond du trou dans la pluie voit les trous se refermer il pleut il pleut les cailloux remontent à la surface mais c’est le sol qui s’enfonce yeuxdoigtsmainsbrastroncbitejambespieds b. s’enfonce troupiqueniquedouille c’est b. l’andouille
 

(recadrons b. : à première vue b. ne ressemble à rien b. n’est pas en formes de qui que ce soit ; b. est tellement miro qu’il a le nez dans la merde du caca plein les yeux et pense y déceler des étoiles étincelantes tintinabulantes ; b. préfère les petits riens aux grandes choses ; b. s’ennuie, b. se passionne, b. se dégoûte, b. vivote, vit à l’ombre, sombre, plombe, toujours b. met un pied devant l’autre dans la tombe ; b. traîne les pieds et évite certaines merdes de chiens, b. regarde mais toujours voit trop tard ça passe et ça casse, b. lent à la détente toujours trop tard b. touché touché-coulé ; lorsque le doigt montre la lune b. regarde ses pieds et patatras tombe plonge dans le trou b. a toujours les trous en face des yeux ; b. n’a aucune perspective b. est absent ci et là de-ci de-là éternel négatif ectoplasme translucide – b. commence des phrases interminables b. ne sait pas finir grand chose b. s’empêtre dans les grosses ficelles de ses maigres pensées – on a bien raison de se fier à sa première impression – rien à prouver personne à convaincre aucune explication à fournir b. n’a aucune conversation (voyez comme les taiseux foutent mal à l’aise) saupoudre ses banales considérations d’une bonne louche de mauvaise foi b. n’est pas démonstratif ne signifie rien b. insignifiant mais b. n’en pense pas moins b. parle parle ne dit rien b. a déjà dit son dernier mot ; b. comme bigleux bileux blême brêle bas-de-casse branque branquignolle balivernes ; à y regarder de plus près : b. est mitigé moyen médiocre navrant annexe bien peu de choses gagne-petit et se permet d’être excessif b. ne retient rien, de toutes parts débordé aussi b. déborde, b. est un mauvais coup d’épée en plastique dans l’océan qui ne déborde, b. liquide stagne entre deux eaux ; b. n’est sûr de rien sauf d’avoir raison ; b. est infralucide, b. gobe tout ce qui lui passe sous les yeux b. est influençable mais sait parfois ce qu’il ne fait pas ; quand b. prend une décision c’est toujours en regrettant immédiatement de ne pas avoir choisi le contraire – plus tard, il arrive que b. ne soit pas mécontent de lui faut dire que b. se contente de peu et b. ne regrette rien sauf ce qu’il n’a pas fait ; réflexion faite b. a les yeux encore plus gros que le ventre et plus larges que les épaules ; b. est un corps dispersé déconcentré décomposé b. s’éclate et se vide de tout son sens puis b. meurt encore plus bête ; sans cesse b. se cogne aux autres corps, b. est à bout du monde ne voit rien plus loin que le bout, b. passe son temps à rester ni trop près ni trop loin mais avec ses multiples problèmes de vue (amaurosis anisométrie achromatie ou plutôt amblyopie agnosie paragnosie b. hésite) se fourvoie ; b. se fait toujours avoir mais fignole son regard torve ; b. est conséquent dès qu’il peut il se complique la vie de peur de s’ennuyer encore plus ; superflu lamentable sinistré défaillant incompatible passif impatient impassible impossible b. est passionnée galante indécise discrète coquette enjouée généreuse effrontée baiseuse honteuse voleuse assassine ça dépend des moments – la mouche avantage-t-elle b. ? ; même dans les détails b. est un cliché, b. ouvre grand ses yeux ses mains ses bras son cul son cœur ses plaies – et qu’est-ce qu’on y voit de plus ?)
 

*

 
b. reprend, retrouve, retient son souffle, on ne respire jamais trop – ferme les yeux et écoute le silence, inspire, un .… deux …. trois .… compte le temps qui bat dans ses tempes écoute le temps qui parcourt chaque creux de chair chaque pli de peau trois minutes vingt-sept …. trois minutes vingt-huit …. c’est-y possible de ne point penser ne plus penser plus jamais ne plus penser à rien enfin – quatre minutes trente-deux …. quatre minutes trente trois .… le silence s’empare de toutes ces rumeurs là-bas si loin si proches qui crépitent qui gigotent qui s’asticotent qui se frottent qui s’engouffrent qui grondent …. sept minutes quarante-neuf …. c’est en le regardant droit dans les yeux que ce silence se fait le plus bruyant bruit blanc et blanc bruit, b. y dépose son souffle pieds cuisses ventre lèvres écarquille les écoutilles le bruit du monde qui clapote à ses yeux tictac …. trois heures trois jours trois mois trois vies trois morts silence amplement mérité, b. regarde écoute et voit entend un peu beaucoup passionnément sans tout capter le silence derrière la petite musique derrière tout ce boucan (à cet instant b. regarde ses pieds) et surtout b. s’y entend un peu mieux ce qui n’est pas rien, s’entendre avec qui, sous-entendus idées derrière la tête et tics de langage b. se cogne à chaque mot mais entre les lignes b. entend les mouches voler, les deux petites ailes de toutes ces mouches qui densent achèvent le silence, à vous couper le souffle – dans ce lent crépitement b. s’étire s’emplit d’émois, temps morts silences vifs, b. regarde dans le silence et saisit le fracas du calme avant la bataille avant le paysage avant la nuit juste après la forêt – bon sang, ces mouches ne dorment jamais
 

finalement comme tout le monde là où b. a toujours le moins froid ce qui ne veut pas dire qu’il y fait toujours très chaud c’est bien dans ce petit chez-lui chez-soi cette espèce d’espace de temps que b. s’approprie sans grande difficulté, l’instinct de propriété n’est jamais dur à susciter – mon boulot mon patron ma boîte mon école monamourqueseraisjesanstoi mon toubib mon diabète mon corps m’appartient : illusions autopersuasions, et chacun chez soi (b. se réfugie dans les lieux les plus communs) – petits propriétaires employés consacrés voués à la logistique comme si ranger sa chambre c’était ranger sa vie comme si le problème c’était b., et même quand tout est si bien rangé chaque chose n’est jamais à sa place et b. inexorablement se cogne aux meubles où diable se garer b. à prendre ou à laisser alors laissons-le dans son coin, habiter ratatine atrophie la chair la pensée où se recroqueville-t-on le plus fort, trouver conquérir entretenir maintenir préserver défendre cet espace domestictactictactoctoc domestication discipline à domicile âpre capitulation face au monde qui embrasse, cette croyance que le monde s’attrape avec du vinaigre au piège de l’évier et du lit conjugal, quels gémissements se déplore b. – où b. s’égare-t-il entre la cuisine et la salle-de-bains et b. intra-muros s’installe prend quelques habitudes pour prendre quelques aises :
 

entre la cuisine et la salle-de-bains b. a disposé un fauteuil (à peine) confortable pour poser son cul se vautrer encore se reposer encore fermer les yeux encore rêvasser en pensant le moins possible mais ça n’est pas possible b. l’apprend à ses dépens en faisant la vaisselle, avec un long couteau de boucher b. tranche et retranche soigneusement sa petite vie b. en pièces mille et un morceaux – pour mieux faire le point s’éloigner le moins possible de la chambre, déguster chez-soi enfin au milieu de tout à portée de mains et rassurants déjà-vus ce papier-peint que b. ne voit plus, au moins jamais b. ne se cogne ici ou si peu pourtant même dans ce trou en évitant les meubles b. se cogne à chaque instant vous avez déjà vu, vous, une mouche se cogner, alors pourquoi s’éreinter à s’en sortir et prendre de tels risques inconsidérés, rien que d’y penser b. est épuisé b. s’évertue à se saisir du monde mais c’est tout l’monde qui gagne à la fin pourtant b. ne sait pas dire non b. y retourne, on meurt toujours en se faisant des idées, quel con ce b.
 

b. couché, b. debout et vite b. rassis sur son tabouret, parfois b. se relève et pousse son cul jusqu’à la fenêtre enfin b. retourne se coucher, tombe

 

 

si-si, parfois b. s’approche de la fenêtre, prudemment (ne pas se précipiter), jette un œil puis deux puis trois entre deux jalousies, se risque à ouvrir la fenêtre se penche vite se retire referme le châssis à double tour et retourne s’affaler dans le canapé pour prendre quelque recul et se rend compte comme le mur qui recadre la fenêtre est encore plus gris sale délavé fissuré que ce matin – faudra changer de papier peint un jour pense b., tiens une mouche a profité de la moindre ouverture de l’oculus (toutes les nuits b. y mate les toiles, entre les nuages) pour s’introduire au chaud au frais et maintenant se retrouve piégée s’obstine s’agglutine contre tout contre mais reste sur le carreau fermement clôt persuadée qu’elle va gagner de ne plus que voir de l’autre côté cette promesse de lumière d’horizons d’infini préférant se défenestrer (facile, pour une mouche) plutôt que cette chambre noire mais (sauf si b. s’en mêle) cette vitre bientôt l’achevera aura le dernier mot, quelle conne cette mouche
 

(venons-en aux faits, montrez-moi ça : mais qu’aperçoit discerne devine donc b. par-delà cette meurtrière qu’il préfère s’en mêler le moins possible ? À perte de vue ces flaques d’évidences, le peu qu’on dit voir les yeux éteints à force de ne plus regarder, et ça patauge ça patauge dans ces eaux croupies servir de certitudes servir d’idées et on y croit, hein, voir prendre les conséquences pour des causes avoir réponse à tout il n’y a que les intentions qui comptent et tout ce qui ne passe pas dans le champ de vision n’existe pas, pensées boutiquières tant d’affaires à faire, consentir ajouter à l’offre culturelle, se cantonner se contenter des piètres arrangements avec les circonstances, on attrape bien les mouches avec du papier gluant, b. ne supporte plus l’étroitesse du couloir où y’a même pas l’espace de laisser traîner un tabouret – quand on ne peut vivre qu’à l’économie c’est tous les jours la crise : dehors, tout ce qui empêche b. de
 

tout ce qui désole b., b. est désolé sincères désolations, voir tout ce beau monde frétiller pour se sentir moins seuls face à la solitude, vaine comédie humaine étriquée mœurs rabougris conformes au temps qu’il fait, b. ne sait pas faire avec ne veut pas faire avec, tout ce qui isole b. : être en société à tout prix s’assembler coûte que coûte (sans jamais composer) et ne plus se quitter des yeux, alors il fait plus chaud par ici ? se consoler entre pairs on ne voit que ce qu’on reconnaît, rencontrez-vous les uns les autres sifflotant vos rassurants airs de famille et tout ce qui est pris est pris b. pas vu pas pris, trouver une place sur la photo de classe ramper jusqu’au soleil sur les cadavres encore chauds des voisins de palier mais sous les parasols toutes les places sont déjà prises dommage pour ta peau si fine, cramez-vous donc les uns les autres et encore merci pour votre contribution, b. de mauvaise compagnie tant mieux pour lui et tant pis si tout ça aussi, dehors-dedans, empêche b. de,
 

comme n’importe quelle autre maladie invisible (disent les docteurs), car b. préfère encore ne pas mais quand même b. en est malade et ça l’rend fou, b. est fou et ça l’rend malade, il est complètement malade ce type, fol à lier totalement empêtré le gars cas désespéré hop à l’hp et aucune excuse puisqu’il ne fait pas affaire qu’il crève ce b. de cette maladie que lui seul voit sait sent corps déprimants chairs déprimées b. empoisonné toxique puis fait le mort (b. reste couché, ça passera) b. déteste les gens en bonne santé à l’aise et assurés de)
 

pour se sentir moins seul à fixer la baie béante, b. collectionne capitalise parie sur quelques amis fait des réserves qui ne tiennent pas très longtemps l’hiver est encore long et promène trois fois par jour son toutou mais nouvelle déception les promeneurs de chiens se saluent causent de leurs tiques frétillent de la queue mais se reniflent à peine le cul au revoir et à demain – au bout de quelques minutes b. préfère encore rentrer chez lui sur le bord de la route abandonne ce bon p’tit chien qui ne lui sert décidément à rien et puis il a la gale ce sale cabot la prochaine fois j’prends une renarde avec rage ils verront c’qu’ils verront avec leurs corniauds puants, et puis b. s’en contrefout de se dégourdir les papattes comme si ça dégourdissait cette ambiance moisie
 

(après cette pause amplement méritée – la route est encore longue – la mouche reprend son envol vers la fenêtre (soigneusement fermée b. ne supporte pas les courants d’air), évite quelques toiles d’araignées, se retourne une dernière fois : nouvelle hypothèse, et si le héros de cette histoire dont on connaît déjà la fin n’était pas si seul qu’on pouvait le croire, à cet instant un peu avant après ? la mouche élargissant son champ de vision maintenant distinguant sans l’ombre d’un doute un second corps à portée de mains de cuisses de ventre de cul d’yeux de b. alors que voir que croire ? il en faut si peu pour changer de perspective: quelques centimètres quelques battements de cils – mais qu’est-ce que ça change et qu’est-ce que ça peut vous foutre et ça vous regarde ?)
 

*

 

pour changer d’air, b. part en vacances à la mer

 

au réveil, b. se plante sur la digue, et regarde la mer la mer c’est toujours apaisant au loin de loin c’est toujours plat même quand ça s’agite au premier plan la mer n’a jamais besoin d’aucune explication la terre le ciel tout le temps, parfois discerne un porte-conteneurs qui gêne parasite encombre barre l’horizon : le monde tourne (un début d’explication) ; mais comment regarder la mer sans avoir le monde dans son dos tout ce monde à dos; toujours b. est éclaboussé d’écume, ce matin il pleut sur la mer plocplocploc, et même à quai parfois tout tangue, mal de mer, b. penche un peu plus (vit de traviole), soudain plonge tombe est poussé se jette (on ne voit pas bien), oublie de nager ahlala cette mémoire toujours trop courte, flotte à peine trop de vagues, coule, coule, corps et biens, croise une seiche médusée (nuage opaque), n’y voit goutte, y voit trouble mais c’est la turbidité de b. qui est élevée, touche le fond, et sans s’en rendre compte par un étonnant réflexe musculaire rebondit, croise une méduse qui s’en fout complètement, trouve la sortie, toujours plus haut – bouffée d’air reprend du souffle on ne souffle jamais trop, fait la planche un petit moment pour ne plus regarder (d’un œil distrait) que les nuages, rejoint finalement le quai et se hisse non sans efforts, reprend pied, bon pied bon œil, se sèche et c’est déjà le soir et b. mate la mer, la mer à perte de vue, droit dans les yeux, c’est fatigant le dos crawlé et b. a de frêles épaules, et b. préfère se faire piquer par ce serpent de mer plutôt que par la première mouche venue

 

quand b. regarde la mer, c’est en regrettant (amer le b.) de ne pas être là-bas pour mieux regarder et voir de quoi ici a l’air, regarder là-bas d’ici en regrettant toujours ne pas se trouver là-bas, et b. irait bien voir s’il n’y est pas mais là-bas non plus aucune place pour un b. jamais satisfait invariablement au mauvais endroit au mauvais moment, ça apprendra b. à vivre au bord de l’eau de tout ; et puis de toutes façons comment voulez-vous que b. se rende là-bas b. est bien trop fainéant et frileux et peureux pour se risquer pour trouver quoi là-bas y’a même pas une île flottant à l’horizon juste un sombre pétrolier, d’avance b. se lasse se prélasse fait la planche sur sa serviette sur cette plage, b. préfère encore ne pas se mouiller

 

 

décidément avec cet horizon tout plat, ces vagues plus ou moins agitées, ce sempiternel reflet du ciel confusion totale des éléments, ces meutes d’Anoplogaster cornutae, ces silences dérives naufrages et autres promesses insulaires, surnagent les truismes les plus attendus dès lors que b. pense détourner les yeux du hublot pour ne pas se noyer dans les détails, les pieds dans l’eau la tête à l’envers – vue imprenable, mais ne verrait-on pas encore mieux du haut de cette falaise au fait
 

ah la vie à la mer…. b. s’emmerde déjà sur cette plage alors b. rentre fissa à la maison

 

*

 

Pour y voir la nuit b. s’est fait greffer quelques yeux dans le dos, une ou deux paires de tentacules escargrotesques et néanmoins rétractiles sur le haut du crâne, un œil de cyclope au milieu du front un autre en plein milieu du ventre, ne se balade jamais sans les deux semi-globes aux mille et une facettes qu’il a dégotés il y a déjà deux ans sur un triste vide-grenier à R. (il pleuvait là encore) avec sonar et périscope pour la piscine, grand et petit bassins – tout ça à utiliser sans retenue du haut de l’escabeau qu’il trimballe en tout lieu de tout temps dans la poche droite de son blouson, avec sa faible lanterne, on n’est jamais trop prudent (mais son télescope est encore en panne, zut) – et b. change d’épaule sa pétoire vise et parfois fait mouche
 

mais hier b. s’est une fois de plus blessé car parfois la main tremble (et la mouche ne tient pas en place) et bim le coup part n’importe où n’importe quand n’importe comment n’importe quoi, tremblements de b. : b. grelotte neuropathie légère à peine nerveux – ce qui trouble les contours de b. troubles les chairs chaque bout de b. trouble tremble puis se crispe b. souffle et l’air tremble dans autour du ventre aux lèvres aux paupières, geste hésitant pourtant chaque geste compte le corps hésite b. doute penche flanche, b. trémule mais reste imperceptible et un deux trois quatre tous ces corps tressaillent vacillent parfois se ressaisissent et là, ici-même, ces tremblements dans l’air du temps font les plus beaux silences à couper à la machette comme n’importe quel frottement d’ailes de mouches file le bourdon
 

– et dans ce nouveau silence b. perçoit distinctement tictac le monde bouge encore emplit l’espace de l’instant tictac b. compte et recompte tictac et finit par s’endormir on se demande pour quoi faire, sur ses deux oreilles d’un œil on ne se méfie jamais trop des moustiques b. décompte ce qui lui reste à – ici-maintenant b. tremble un peu moins, frémit quels frissons agitent b., faudrait-il y voir d’encore plus près, tyktæq
 

b. ébloui aveuglé hébété abêti par tout ce dont il manque et parmi tout ce dont manque b. tout le temps le temps revient à la charge, tout le temps le temps est déjà derrière b. temps mort-né b. a beau prendre tout son temps c’est toujours le temps qui prend b. par surprise qui occupe b. irrite gratte démange sur dans sous la peau et b. se désole que même tuer le temps prenne tout ce temps jamais jamais jamais le temps n’est pas compté – or, un discret adage suggère que le temps serait une invention d’êtres incapables d’aimer : montres coulées au fond du ventre agendas greffés au cerveau et carnets d’adresse glissés dans les poches sous les yeux, et jouir ça prend combien de temps se demande encore b. et le temps manque toujours aux êtres pas foutus de jouir suppute b. – mais devoir vivre sur ses réserves ratatine aussi le temps, b. le sait bien – mais alors quoi, de quoi jouir dans ce monde éblouissant aveuglant ? ce que l’œil croit voir que la main s’en saisisse : et voler du temps, ça prend tout son temps, sale temps pour les b.
 

 

 

 

pour le moment, b. attend que cela passe et rien ne se passe, alors b. tâche d’en faire le moins possible mais même fumer une clope rêvasser attendre n’est pas rien à la limite à la rigueur presque-rien quasi-rien mais pas rien-du-tout, b. prend tellement son temps qu’il n’a jamais le temps de rien, b. ne prend aucune initiative n’entreprend ne construit rien et surtout rien qui ne servirait à, laisse les projets aux agités de l’activité il s’agit toujours de – faites donc je vous en prie fatiguez épuisez occupez-vous, b. ne sert qu’à rien inutile sous-productif b. n’est pas compétitif b. ne réussit en rien se désœuvre se dégoûte mais qu’est-ce que tu fabriques b. entame toujours plusieurs choses en même temps pour être sûr de ne jamais en finir avec b. trouve toujours une bonne raison pour ne pas s’y mettre b. a toujours mieux à faire (on se demande bien quoi) et ne fait pas bien les choses, d’ailleurs un rien ne distrait b. b. n’a pas le sens des affaires ni l’esprit d’entreprise ne s’est jamais passionné pour le beau geste b. fait bien c’qu’il peut et c’est pas beau à voir et ne fait rien pour que ça se passe mieux: comme b. ne fait que les choses à moitié b. se retire du marché avant la fin de l’histoire, mais toujours les gouttes de sueur des voisins dégoulinent sur b. du front brouillent les yeux, b. a beau reclaquer les fenêtres les portes les paupières les contemporains de b. ici et là partout autour qui transpirent, b. éponge les flaques et se rendort ; voilà, ça c’est fait
 

hypothèse : voir prend du temps et pas tant d’espace que ça, b. se sent se fait se met s’insinue tout petit dans l’étendue des dégâts, et jouir ça prend combien de temps alors ?
 

*

 
Il se passe quoi ici pas grand chose, soudain b. se laisse faire aller prendre surprendre encore attiré tombé chu dans les voies sèches étroites infinies à première vue impénétrables de la passion – parfois b. jouit les yeux fermés parfois écarquille les yeux ouvertement jouissant que voit le corps qui lascif tout à coup – b. est insatiable obsédé troublé obnubilé fait une fixation n’en a jamais assez b. veut encore toujours tout et ne voit plus que ça, que voulez-vous b. pense avec sa bite ne pense qu’à ça ne nous racontons pas d’histoires idées déplacées esprit détourné corps désaxé et avec ça b. a tout son temps pour languement s’extasier indécent pour le plaisir des yeux rêvasser toujours plus large plus haut plus loin plus fort, qu’est-ce qui crisse cette peau qui pourtant le sépare tant, ensuite b. rouvre ses yeux ses mains sa bouche son cul son cœur – ses plaies, on verra ça plus tard
 

b. a fait son temps trébuche tombe succombe gît – qui mourra verra la mouche est dans l’œil de b. : b. crève en silences – mais pour abréger ses souffrances pense sauver sa peau fait durer le plaisir, car dans leur coin, les petites gens, de leurs petites mains, font de petits riens – à peine de petites morts, l’instant juste après.
 

b. décomposé – essaims des mouches nécrophages larves asticots : première vague dès le relâchement des sphincters avant même les premières effluves, familles de calliphoras vicini et calliphoras vomitaria se précipitant se grouillant d’abord sur les globes oculaires – merde plaies ouvertes fermées b. crève en prenant son temps tictac les mouches accomplissent scrupuleusement leur boulot pondent dans les lésions, saloperies d’insectes qui ouvrent leurs yeux au chaud dans le cadavre pourri de b. pas encore froid cette bidoche qui ne conserve pas, incessantes nuées de mouches, et merde b. a encore perdu sa tapette (vaine ridicule minable tentative de prolongement du corps de b.)
 

Et alors quels gestes immortalise cette boucle d’images toutes faites et cette mouche quel instant s’est-elle posée quels zigzags se raconte-t-elle, sur la route de b. soudain une mouche sur la route de la mouche soudain un b. : b. anecdotique fragment du paysage qui s’ouvre à la mouche, b. a beau jeu d’écarquiller se frotter les yeux b. rêve mais non b. ne rêve pas, plus, jamais, jamais d’la vie, à force de les entendre bourdonner b. ne les voit plus toutes ces mouches plein la bouche qui dans les recoins attendent leur heure trompent l’œil mais jamais la mort se rincent l’œil auront le dernier mot. Chut.

 

*

 

[suite au prochain épisode : b. se lève, b. sort pour tâcher d’y voir clair, b. fait son bonhomme de chemin, b. se perd dans ces détails qui lui crèvent les yeux et dans la sombre forêt cherche comment prendre de la hauteur pour trouver un point de vue im-pre-na-ble sur ce joli paysage, lorsque soudain au premier virage venu, paf l’accident b. se retrouve encore dans le décor]

 

*

 

(Le 27 décembre 1951 plusieurs dizaines de millions d’énormes mouches vertes interrompirent les communications hertziennes entre Paris et l’Amérique du Sud en envahissant dans le Val-de-Marne la plus grande station radiotélégraphique de France s’infiltrant dans tous les appareils paralysèrent pendant quatre heures toutes les émissions simultanément d’autres essaims tentaient au-delà de la Seine une série de raids causant des dommages énormes dans les habitations et les boutiques ; les experts se perdirent en conjectures : était-ce un hasard si dans chaque commune les assaillantes bloquèrent les rouages de toutes les horloges publiques ?
et après ? se demande b.)