la honte

Y’a comme un fondement qui se défile, comme une patte qui se moite, comme un teint qui se rose. Y’a du pipi dans la culotte, ou autre chose, des sueurs de soi qui se barrent, bonnet d’âne sur la tête et vaille que vaille, on garde la tête haute et ça roule des mécaniques, ça se la joue même pas mal et pourtant, ça pince au coeur.
Y’a du pubère en passe « d’âge mûr », OUVREZ LES PORTES DE SAINTE-LIBERTÉ, et pourtant ça reste fermé, toujours fermé, à vie fermée malgré les fissures qui promettent l’avènement des ruines.
L’avènement des ruines. Le vent qui souffle entre poussière et oxygène. La lumière du soleil s’infiltre au hasard, la pluie arrose, un lézard disparaît dans l’entre-deux.
Y’a du tout nu dans les décombres.
On a froid, chaud, humide, il fait faim à l’âge des ruines. Le désert du far west et ses cités fantômes, c’est toujours un film américain ou les restes des hellènes, même engeance, empires dégoulinants d’hémoglobine sur fond de musique d’ascenseur démocratique. Quand je pense aux ruines je pense à la conquête de l’Ouest ou au péplum en cinémascope défraîchi. Les ruines m’effraient.
Un tremblement de terre dans mon fondement. Y’en a de toutes sortes, de ces éboulements à l’intérieur, des sensations de vertige – mon dieu, vais-je encore survivre ? – et la survie non la vie devient l’enjeu monstrueux du RETOUR À L’ORDRE. La misère est le fruit de la peur des ruines.
Et toi tu trembles ? La vidéo dans ta main tremble pour toi. Braguette de coudrier, sexe tremblant d’effroi, cette cassette vidéo te fout à poil à travers mon regard, mes yeux de fillette de trente ans, mes yeux écarquillés d’où s’enfuit un éclair de gourmandise. Te voir à poil, moi, ça m’excite. Et tu rougis, fillette à ton tour, toi celui qui doit toujours gagner, tenir, mesurer, maîtriser, tu te confonds dans les plis de ta jupette de honte, dans ce voile de pudeur risible comme un nez d’auguste de pacotille. C’est comme ça que je t’aime. Sexe tremblant d’effroi. Dans l’embrasure d’un sex-shop près de la gare, je t’ai aimé. Sous tes pieds la terre fuyait. alors je t’ai aimé. Au champ des ruines de ta révolte, quand tu me désires et que tu en as honte, c’est là que je t’aime. Mais je ne te le dis pas. Je baisse les yeux ou force un « bonjour » qui se croit de convenance. L’homme s’en va, vidéo sous le manteau. Ce soir, la révolution n’aura pas lieu.
Lorsque la guerre éclata dans la rue, des vieillards faisaient le thé à l’heure habituelle. Comme chaque jour, le même disque, première partie du Messie de Händel. « For he’s like a refiner’s fire » crie la chanteuse, pendant que les pots de fleurs et les crânes des passants explosent dans la rue. Le thé fume doucement, posé sur le napperon du guéridon.
Et l’homme que je désire, film de CUL sous le manteau, je l’ai laissé filer, je l’ai abandonné seul sur le pavé avec sa honte, sa pauvre honte de condamné sur le pavé il pleut il fait peut-être froid, et même s’il faisait chaud ce serait pareil parce que… je l’ai laissé dans sa honte.
J’entre dans le sex-shop miteux derrière la gare, à l’ombre des ruelles encore indemnes mais pas pour longtemps. Je me retrouve face au vendeur. Il est beau. Je viens chercher un vibromasseur à télécommande. 7 vitesses. Je le prends bien en main. Elle est moite. Je suis nue, mon sexe là sousnos yeux, son sexe de plastique à l’intérieur, ma culotte frémit jusqu’aux yeux, j’ai honte. Les murs de ma connerie s’ébranlent en silence. Le vendeur actionne la télécommande. Vibration progressive suivie d’une série d’aller-retours pour le moins suggestifs. Ça en rajoute dans mes fondements, ça mitonne une jouissance inconvenable (putain, tu veux pas me le foutre dans la chatte, ce truc ?). Hurlement désespéré, je bredouille, comme pour sauver la face, C’est pour une Performance. Ça fait bien de parler d’art – CHÉRI, C’EST L’HEURE DU THÉ ! Oui, c’est vrai, demain, en vitrine de galerie-bar, confondre mes sens, sexe branlé à distance par la main d’un barman indifférent. Me mettre à poil, à poil de coeur, jouir de la honte, vibrer dans l’ébranlement de mes fondements jusqu’à ce que chaque pierre de chaque édifice devienne poussière, appeler la ruine de ce monde, demain, c’est vrai, – mais là, je m’en sers d’excuse pour masquer ma honte… À ma honte s’ajoute la haine, le mépris de moi-même. Demain, ma jouissance honteuse pour tous, à la vue de tous ? Chiche !
Le vendeur est beau il me voit à poil, la gêne rebondit contre nos faces dans un écho infini. Je pense à ce curé qui me frôle de sa main tremblante l’épaule nue, devant mes seins exposés par un très décolleté, il fait chaud, Ah, Mademoiselle, votre chant, votre voix m’a ému… Je rougis, je baisse la tête, je voudrais lui dire Tu aimes mon coeur qui bat à vue d’oeil ? Bien sûr, il ne l’a pas vu, il ne veut pas le voir, ce coeur. Il est pur comme un corps sans sexe. Jours de deuil pires que la mort d’un proche : si au moins il m’avait entraînée dans un coin pour me mordre à l’endroit de ce coeur nu. Il le désirait. Il n’a pas reconnu son propre désir. Je rêve d’un monde où l’on saurait que l’on désire quand on désire. Parfois mon sexe me submerge au point que je pars en chasse la nuit dans les rues de la ville, traquer ce regard, le même que le mien, regard de prédateur. Je le croise et il reconnaît tout de suite dans mes yeux ce miroir de lui-même. L’homme tremble d’être regardé comme il regarde. Habituellement, c’est la peur des victimes que lui renvoient les yeux des jolies gazelles dans la lueur des réverbères. Ça le met en colère, et dans cette colère se rejoue le viol perpétuel dont s’emparent les journaux. Cet homme, enfin désiré autant qu’il désire, a peur. Mon désir le terrifie. J’ouvre sa chemise, cicatrices et tatouages au couteau, c’est comme un paysage dévasté qui me fascine, il me parle de toutes ces femmes qu’il a violées dans la guerre, très loin, là-bas, je le désire, je l’absous, il demande pardon, ses doigts dans ma chatte, il ne sait que violer, il me blesse en croyant me caresser, je l’absous encore dans l’onction de son sperme. Deux heures plus tard, je rentre chez moi la chatte explosée, des bleus entre les cuisses des morsures des griffures, trésors de guerre du corps à corps de la misère qui se révolte. Le temps de panser mes plaies et j’y retourne, aimantée, aimante de ce regard de prédateur qui me dit que je ne suis pas seul monstre en ce monde.
Le vendeur me regarde et demande Vous êtes satisfaite ? Je sors rapidement des billets de mon sac. Oui, merci. Merci… Je paie et j’embarque le vibro. Télécommande. 7 vitesses. Jamais utilisé.