révolutions
et conserveries.
la dialectique en boîte.

« Les hommes sont conservateurs après le dîner. »
Ralph Waldo Emerson, Essais, 1844

« Si j’étais roi, je ne boirais que de la graisse. »
Un paysan, 17e siècle

« Il suffit de comparer la taille de squelettes des chasseurs-cueilleurs d’avant le néolithique
et des Européens au 19e siècle pour voir qu’il n’y a pas eu d’évolution de la richesse calculée
en quantité de calories disponibles. La seule différence c’est que les chasseurs-cueilleurs travaillaient deux heures par jour et les ouvriers du 19e siècle
18h par jour pour un revenu équivalent. »
Daniel Cohen, La Tribune, 4 septembre 2009

Roland Barthes avait souligné [1] que dans les films de Chaplin le prolétaire Charlot était généralement réduit à sa plus stricte condition de pauvre, à savoir celle de l’affamé, dénué de conscience révolutionnaire – dénué de conscience révolutionnaire parce qu’affamé. Charlot le vagabond, cherchant à survivre dans l’enfer industriel, était avant toute chose en quête de nourriture. « Pour Charlot, le prolétaire est encore un homme qui a faim. » Barthes mettait ainsi en évidence, à travers des films tels que Les Temps modernes, l’ambivalence de la charge portée contre le monde capitaliste par Charlot, cet ouvrier « défini par la nature immédiate de ses besoins et son aliénation totale aux mains de ses maîtres (patrons et policiers) » (qui s’illustre notamment par son rejet de la grève), mais pour autant figurant « une sorte de prolétaire brut, encore extérieur à la Révolution » qui lui donne une « force représentative immense. Aucune œuvre socialiste n’est encore arrivée à exprimer la condition humiliée du travailleur avec autant de violence et de générosité. »

Non pas que cette mise en bouche proposée par le sémiologue cherbourgeois ne soit de notre goût, mais ce qui nous appâte ici – moins que son analyse de la possible puissance critique du personnage Charlot – c’est son idée de départ selon laquelle il y aurait une séparation entre le pauvre (le ventre) et le prolétaire (la tête) – séparation dont on ne sait pas très bien finalement qui, de Chaplin ou de Barthes, la marque le plus. Barthes voit en effet dans le prolétaire Charlot une sorte de « préprolétaire » : « Historiquement, Charlot recouvre à peu près l’ouvrier de la Restauration, le manœuvre révolté contre la machine, désemparé par la grève, fasciné par le problème du pain (au sens propre du mot), mais encore incapable d’accéder à la connaissance des causes politiques et à l’exigence d’une stratégie collective. » Une des idées sous-jacentes ici est que la résolution de la faim précéderait la constitution d’une conscience de classe, qu’un homme affamé ne serait tout au plus qu’un révolté ; pas encore un révolutionnaire ; pas encore ce prolétaire « moderne », conscientisé, moins taraudé par son estomac que par les enjeux de la lutte des classes.

 

 

 

Cette idée est significative de l’époque où écrit Barthes, celle de l’après-guerre et des Trente Glorieuses, dominée par l’optimisme du progressisme et de sa conception strictement linéaire du temps : les conditions de vie de l’ouvrier s’améliorent, ainsi c’est la personne même de l’ouvrier qui va s’améliorant. Le révolté affamé se doit de laisser la place au révolutionnaire repu.

*

La question de la faim, qui restait une question problématique au 19e siècle, se trouvait donc logiquement au cœur des préoccupations du mouvement révolutionnaire de l’époque. Une grande partie de celui-ci portait alors le rêve d’un pays de cocagne que la lutte des forçats de la faim avait pour but de réaliser. Que l’on songe à la description que faisait Engels de « la situation de la classe laborieuse en Angleterre », dans laquelle la question de la faim était omniprésente :

« Durant mon séjour en Angleterre, la cause directe du décès de vingt à trente personnes a été la faim, dans les conditions les plus révoltantes, et au moment de l’enquête mortuaire, il s’est rarement trouvé un jury qui ait eu le courage de le faire savoir clairement. Les dépositions des témoins avaient beau être limpides, dépourvues de toute équivoque, la bourgeoisie – au sein de laquelle le jury avait été choisi – trouvait toujours un biais qui lui permettait d’échapper à ce terrible verdict : mort de faim. La bourgeoisie, dans ce cas, n’a pas le droit de dire la vérité, ce serait en effet se condamner soi-même. Mais, indirectement aussi, beaucoup de personnes sont mortes de faim – encore bien plus que directement – car le manque continuel de denrées alimentaires suffisantes a provoqué des maladies mortelles, et fait ainsi des victimes ; elles se sont trouvées si affaiblies que certains cas, qui dans d’autres circonstances auraient évolué favorablement, entraînaient nécessairement de graves maladies et la mort. Les ouvriers anglais appellent cela le crime social, et accusent toute la société de le commettre continuellement. » [2]

Son camarade Marx était également frappé par le niveau de paupérisation de la classe ouvrière. Les deux théoriciens ne partaient-ils pas d’ailleurs du principe que le prolétaire, à l’intérieur du système capitaliste, était condamné à ne jamais s’enrichir et, conséquemment, à toujours crever la dalle (la réalité de l’époque, en l’occurrence, ne les démentait pas) ? « L’ouvrier moderne, loin de s’élever avec le progrès de l’industrie, descend au contraire toujours plus bas, au-dessous des conditions de vie de sa propre classe. Le travailleur devient un pauvre et le paupérisme s’accroît plus rapidement encore que la population et la richesse. » (Manifeste du parti communiste, 1848) Nombreux étaient ceux, dont Marx, qui pensaient l’ouvrier condamné à produire, tandis que le bourgeois se réservait seul le droit de consommer. Le gendre de l’éminent barbu, Paul Lafargue, ne disait pas autre chose, trente ans plus tard, dans son Droit à la paresse, quand il dénonçait le surtravail et l’« abstinence » des travailleurs dans le monde capitaliste. Il appelait de ses vœux une réduction radicale du temps de travail pour permettre enfin aux ouvriers de s’en mettre plein la panse. L’émancipation des travailleurs était la seule voie menant au paradis de la société d’abondance.

Jusqu’au début du 20e siècle, l’idéal révolutionnaire avait les allures d’un vaste gueuleton, une formidable frigousse, un inoubliable banquet, où les gueux, après avoir vaincu la domination capitaliste, obtiendraient enfin leur part du gâteau, s’asseyant à la table des bourgeois à qui ils auraient préalablement et allègrement botté le cul [3]. La révolution était d’autant plus alléchante et ragoûtante que la vie des prolétaires dans les faubourgs des villes anthropophages n’était le plus souvent qu’une vie de crevards, une vie de misère dont on a peine aujourd’hui à se souvenir. L’idée révolutionnaire s’attachait à une réalité qui prenait au ventre, et la lutte contre l’exploitation devait conduire à une amélioration matérielle des conditions de vie. Il fallait bouffer, littéralement : bouffer du pain et bouffer du bourgeois, l’un n’allait pas sans l’autre.

 

 

 

« Il faut nous unir, travailleurs de tous pays, pour opposer une barrière infranchissable à un système funeste qui diviserait l’humanité en deux classes, une plèbe ignorante et famélique et des mandarins pléthoriques et ventrus. » [4] La cristallisation de l’antagonisme de classe à travers l’opposition entre les gras et les maigres – si elle n’était pas nouvelle – s’exacerba à partir de la deuxième moitié du 19e siècle. Et ce n’était pas qu’une figure de style réservée à la littérature, comme l’illustre parmi tant d’autres exemples Le ventre de Paris de Zola [5]. Les riches « s’engraissaient », dans tous les sens du terme, sur le dos des pauvres. Il faudra attendre les années 1920, alors que globalement le régime alimentaire des gueux s’améliore, pour voir se dessiner l’image du pauvre gras : « La conscience sociale des grosseurs change d’abord avec les années 1920. L’adiposité serait brusquement plus présente dans l’univers quotidien. Les images le disent. Les ouvriers et paysans des caricatures, celles du Canard enchaîné, du Rire, ou de L’Illustré national, révèlent la possibilité d’empâtements “réservés” classiquement aux nantis. Les “pauvres”, qu’une vieille tradition figure en êtres faméliques, acquièrent brusquement un volume physique qu’ils n’avaient pas. Les dessins d’Albert Dubout, au début des années 1930, multiplient les adiposités populaires, les seins flottants, les ventres peu contrôlés, les mentons affaissés […]. L’amplitude abdominale se démocratise : consommation et suralimentation seraient en voie de généralisation. » [6]

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C’est sur son lit de mort en 1923-1924 que le famélique Kafka, dans un état de dépérissement physique, corrige les épreuves de son ultime nouvelle Un artiste de la faim ; elle met en scène un de ces artistes forains, ces Hungerkünstler, populaires dans les années 1880 en Europe et aux États-Unis et dont la performance consistait à jeûner en public pendant des dizaines de jours. [7] Ces artistes de la faim sont symptomatiques de cette période charnière, où s’établit un rapport nouveau à la nourriture. Dans la nouvelle de Kafka, ce penchant ascétique est à la fois l’histoire d’une vie manquée et celle d’un refus du monde où le protagoniste, double de l’écrivain tchèque, s’oppose à l’existence normative, cherchant à vivre en se privant de nourriture. Cet artiste, dans une posture quasi christique, se révélera incapable de mettre fin à son jeûne – œuvre totale – parce que, confie-t-il : « je n’ai pas pu trouver l’aliment qui soit à mon goût. Si je l’avais trouvé, je n’aurais pas fait d’histoires, crois-moi, et je me serais rempli la panse comme toi et tous les autres. »

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Les évidences sont toujours bonnes à rappeler. Elles ne mangent pas de pain. C’est une des raisons pour lesquelles nous ne nous sommes pas privé d’en farcir ce texte. Car comme tout le monde le sait, ce ne sont pas les révolutions dites « communistes », mais la révolution capitaliste, dont elles sont le corollaire, qui a conduit à une révolution alimentaire [8], en raison notamment du développement des transports (avec l’invention de la machine à vapeur) et des techniques modernes de conservation. Ce que confirme l’historien Montanari pour qui « la délocalisation du système alimentaire […] a desserré les liens entre nourriture et territoire, et elle a vaincu la faim millénaire des Européens, en les soustrayant à l’incertitude des saisons. À la base du phénomène, on trouve la révolution des transports et de la conservation des aliments […]. Le pouvoir (politique et militaire) et la richesse ont pourvu au reste », tout en précisant que « le perfectionnement sur une échelle planétaire du réseau de distribution commerciale a éliminé les disettes du monde industrialisé, mais il a souvent aggravé les conditions de vie des autres pays. » [9]

La révolution engendrée par l’industrie alimentaire tend à faire oublier cette peur fondamentale et primitive de la faim et du manque [10]. Comme dirait n’importe quel pilier de bar nihiliste : ce n’est pas rien. Car sans rentrer dans des considérations hautement philosophiques que notre esprit grossier, de toute façon, nous interdit, nous sommes néanmoins en mesure d’affirmer que la fin de la précarité alimentaire et de la sous-alimentation bouleverse non pas seulement le rapport individuel à la nourriture, mais également l’ensemble des rapports sociaux. Si manger signifie satisfaire des besoins physiologiques ; si l’acte d’ingérer touche à l’intime, à l’affectif ; si la faim relève du désir et de la frustration ; plus largement, la bectance est au cœur de l’organisation économique, et donc de la politique. La gourmandise fut longtemps considérée comme un pêché non pas parce que les ouailles étaient tentées de s’en mettre plein le bide mais au contraire parce que pendant des siècles elles durent se contenter du peu qu’il y avait dans leur gamelle. L’ordre et la discipline se mirent progressivement à table. [11]

 

 

 

Cette résolution du problème de la boustifaille et du rassasiement dans les pays industrialisés a donc, d’une certaine manière, sapé une des bases du projet révolutionnaire prolétarien du 19e siècle, tout en participant, simultanément, à l’affermissement de ce régime conservateur moderne qu’est la démocratie. Pour le dire autrement : un nouveau régime politique pour un nouveau régime alimentaire. Où la faim ne relève plus tant du quantitatif (rapport socio-politique) que du qualitatif (rapport individuel et contrôle de soi) : « régime » signifiant en latin « gouvernement », le régime alimentaire se réfère donc dans une certaine mesure au gouvernement de soi, à une manière de vivre où l’on fait un usage raisonné et méthodique de la graille et des breuvages.

Tout ça pour arriver, après moult détours, à la conclusion suivante : la conservation alimentaire n’est pas étrangère à la conservation politique. L’histoire de la boîte de conserve se confond, au moins symboliquement, avec le conservatisme politique bourgeois. Vous comprenez dès lors pourquoi nous avons commencé ce texte par la faim.

Évidemment, il ne s’agit pas ici de réduire les causes de l’affaiblissement de l’élan révolutionnaire dans les pays industrialisés à partir de la seconde moitié du 20e siècle au règlement de la question alimentaire (nous prévenons tout de suite : notre attachement à la simplification – si ce n’est à la simplicité – théorique va de pair avec notre détestation du simplisme). Seulement, ce point nous semblait rarement abordé, quand il n’était pas tout bonnement méprisé. Il permet pourtant de confronter les lois de la physiologie à celles du matérialisme dialectique : un exploité au ventre plein ne serait-il pas moins tenté de se révolter qu’un exploité que la faim tiraille ?

Question qui rejoint cette provocatrice déclaration de deux ouvriers blanquistes dans les années 1860 : « Plus il y aura de misère, et plus nous serons contents, nous voudrions que l’ouvrier cessât de gagner son pain, alors la faim ferait, peut-être, ce que n’ont pas pu encore faire les raisonnements. Vous autres coopérateurs, vous vous efforcez de pallier les souffrances du travailleur et c’est pour cela que nous vous détestons. Car, si par impossible, vous réussissiez à rendre l’ouvrier heureux, la révolution n’arriverait jamais et nous voulons avant tout la révolution. » [12] Ces deux blanquistes auraient-ils pu imaginer que l’ennemi allait aussi prendre l’aspect d’une boîte de conserve ?

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Le cuisinier-confiseur Nicolas Appert, qui n’avait pas froid aux yeux, commença ses expériences sur la conservation au beau milieu de la Révolution française. Est-ce la famine de 1788 (dont certains y voient une des causes de la Révolution), et les disettes régulières qui suivirent, qui motivèrent les premières expérimentations d’Appert ? Quoi qu’il en soit, les troubles politiques auxquels il prit un temps part n’effrayèrent pas le cuisinier expérimentateur puisque c’est à la fin de la Grande Terreur de 1794 que le principe de l’appertisation fut mis au point.

À en croire un de ses fervents biographes [13], le révolutionnaire Appert, à l’instinct prométhéen, entretenait une fascination pour le feu. Et à force d’expériences basées sur le chauffage des aliments, il finit par découvrir « qu’en chauffant des aliments dans un récipient hermétiquement clos, le produit se conserve indéfiniment ; l’appertisation était née, et ses premières conserves furent effectuées dans des bouteilles de vin de champagne qu’il trouvait très belles. » [14] L’appertisation est un procédé qui consiste à stériliser la nourriture par la chaleur, permettant ainsi de conserver hermétiquement les aliments, en respectant leur goût et leurs qualités nutritionnelles et ce, sur de longues périodes. Mais l’Appert, y en a pas deux, et grâce à ses expérimentations, il inventa également, trente ans avant les travaux scientifiques de Louis Pasteur, le lait pasteurisé. Il parvint en effet à démontrer empiriquement que le chauffage du lait (il testera également le procédé sur le vin et la bière) permettait de le conserver pendant un temps limité. Rappelons ici qu’au début du 19e siècle, les techniques de conservation connues, dont certaines remontent à l’Antiquité, sont nombreuses (sucre, glace, salage, fumage, vinaigre, etc.). Mais elles n’ont pas les avantages de l’appertisation puisque la plupart d’entre elles ne sont que de courtes durées, partielles, parfois coûteuses et elles dénaturent généralement l’aliment.

Une telle découverte aurait dû logiquement assurer à Appert une retraite confortable. Mais c’était compter sans la philanthropie du bonhomme qui refusera de faire breveter son invention. Il préféra en faire don à l’humanité [15], révélant en 1810 ses secrets de fabrication dans ce qui devint un best seller international, L’Art de conserver pendant plusieurs années toutes les substances animales et végétales. Ce don à l’humanité fut en réalité, comme beaucoup de choses dans ce bas monde, un don aux industriels carnassiers et à leurs appétits capitalistes effrénés. Appert finit ses jours dans l’indigence, définitivement ruiné après les destructions successives de ses ateliers, en 1814 à la suite de la défaite de Napoléon, et quelques mois plus tard, en 1815, avec les troubles des Cent-Jours. La dépouille d’Appert fut inhumée à la fosse commune. Nous ne serions pas étonné que d’indélicats persifleurs irrespectueux envers les hommes illustres en profitassent à l’époque pour plaisanter sur la durée de conservation du cadavre du père de la conserve… Nous ne pourrions que le regretter.

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Ce n’est pas qu’un hasard si l’invention de la boîte de conserve apparaît à la fin du 18e siècle, en ces temps troublés, entre révolution et conservation, alors qu’un nouveau régime succède à l’ancien. Nous avons décidé arbitrairement, dans ce texte écrit entre la poire et le fromage, de faire de cette ingénieuse boîte cylindrique le symbole de la révolution alimentaire et, plus largement, du conservatisme politique qui l’accompagne. [16] Il nous faut évidemment préciser ici ce que nous entendons par conservatisme politique. Les nombreux sens et courants d’idées que recouvre – confusément – aujourd’hui dans le champ politique le terme « conservateur » nous ont obligé, pour le bien de tous et toutes, à en donner une définition simplifiée, qui lui conserve son origine historique (à savoir l’héritage du mouvement contre-révolutionnaire de la fin du 18e siècle), à la suite de celui dont le nom résonne comme une hésitante éructation à la fin d’un trop copieux repas : Burke. Certains nous objecterons ici de voir trop large. Mais il faut au moins cela pour une théorie que nous avons échafaudée dans les grandes largeurs. Selon nous, le terme « conservateur » permet de caractériser le régime politique moderne dont un des principes est de maintenir éternellement [17] l’ordre socio-économique dominant. Toutefois, de la pensée conservatrice traditionnelle, nous retenons moins sa critique de la modernité (c’est-à-dire son refus du projet politique libéral fondé sur le rationalisme, sa critique de l’individualisme égalitaire et de l’utilitarisme) que son refus de toute remise en cause radicale. Car nous pensons en effet que le conservatisme politique, érigé à l’origine contre la démocratie, s’est progressivement dissout dans la modernité démocratique. Un prétendu conservateur, de nos jours, ne s’oppose ni au système démocratique, ni à l’économie de marché, qu’il considère comme systèmes indépassables qu’il faut simplement réformer [18]. Le conservatisme, particulièrement français et anglais, après avoir exprimé la défense de l’ancien régime, a dû peu à peu renoncer à son combat anti-démocratique, et admettre, dans un pragmatisme politique, la victoire de ce nouvel ordre démocratique. « Le siècle de la chevalerie est passée. Celui des sophistes, des économistes et des calculateurs lui a succédé ; et la gloire de l’Europe est éteinte à jamais. »[19] D’ailleurs, le principal reproche formulé par les conservateurs à l’endroit de la démocratie résidait dans le fait d’accorder le pouvoir au peuple, et non plus à une élite, à une aristocratie. Or la démocratie, une fois stabilisée, s’est révélée être un compromis entre le pragmatisme conservateur et l’idéalisme libéral : le gouvernement appartient à une élite élue par le peuple. Si nous n’ignorons pas que tout pouvoir est par nature conservateur, la démocratie moderne – légitimée aux yeux de populations rencontrant de moins en moins de difficultés à se nourrir – a institué une forme de conservatisme particulier et inédit représenté par la bipolarisation politique. C’est ce qui explique par exemple pourquoi dans ce monde du compromis et de la compromission, le patronat a autant de légitimité à accuser les syndicats de conservatisme, que les syndicats en ont d’accuser le patronat. Puisque que tous deux s’accordent fondamentalement sur la reconnaissance et la défense de l’ordre des choses. Le conservatisme politique est désormais diffus, partout. Tout citoyen qui se reconnaît comme tel est un conservateur en puissance. Et l’emploi du mot révolution est réservé désormais au langage de la marchandise, intégré dans le lexique pauvre du marketing et de la publicité. Nous voyons déjà les anti-progressistes, si ce n’est les primitivistes, de droite et de gauche, s’offusquer d’une telle affirmation à l’emporte-pièce plaçant la démocratie, symbole de progrès, en parangon d’un courant de pensée politique qui lui était traditionnellement opposé. Mais nous leur rétorquerons sans sourire qu’étant entendu que tout conservatisme est un progressisme à retardement, l’inverse est tout aussi vrai : ce paradoxe, qui n’en est un qu’en apparence, nous permet d’évacuer les chipotages et les querelles philosophico-politiques, et d’aller plus avant dans notre démonstration.

 

 

 

Le système démocratique, à l’instar de la boîte de conserve, n’a pas besoin d’agents conservateurs particuliers pour être opérationnel. [20] Le régime est, répétons-le, intrinsèquement conservateur. C’est à la fois sa force et sa faiblesse. Si la stabilité du régime démocratique repose en grande partie sur le régime alimentaire de ses citoyens repus, et si le capitalisme est une forme d’organisation de production et d’échanges insatiable créant continuellement de nouveaux besoins, ces mêmes citoyens sont donc condamnés existentiellement à toujours rester sur leur faim. La question serait alors de savoir dans quelle mesure l’insatisfaction existentielle généralisée ne représenterait-elle pas une menace pour l’ordre des choses…

La boîte appertisée et la démocratie se fondent sur les mêmes principes : la conservation du monde marchand, la lutte contre la décomposition organique et l’obsession sécuritaire. Si nous avions la fibre poétique, nous ne nous priverions pas pour faire de la boîte de conserve une pertinente métaphore de la société moderne, une évocation lyrique de la vie d’individus enfermés, cloîtrés dans des boîtes (écoles, entreprises, logements, magasins, etc.), obéissant aux impératifs des rapports capitalistes de production, tout en étant garantis d’une espérance de vie plus longue que par le passé, d’une meilleure santé et d’un confort matériel plus grand. Mais notre style a plus à voir avec le scribouillard qu’avec le ménestrel.

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Popeye, l’illustre marin borgne, aux avant-bras hypertrophiés, s’en est enfilé, des épinards en conserves, tout au long de sa vie. Ce bourru au grand cœur, dont la devise « je suis ce que je suis et c’est tout ce que je suis » faisait de lui le type même de l’individualisme américain, a largement contribué à la promotion des épinards et de la boîte appertisée. Le succès populaire de Popeye, personnage de comics créé en 1929, démarre pendant la Grande dépression américaine des années 30. À ses débuts, Popeye est doté d’une force naturelle dont il se contente pour terrasser les ennemis [21] qui ne cessent de menacer Olive, sa filiforme et célèbre dulcinée. S’il mange des épinards, c’est avant tout parce qu’il adore ça. Mais alors que la crise de 1929 plonge une grande partie de la population américaine dans l’indigence, les autorités américaines auraient décidé de rendre Popeye addict aux épinards en boîte. Le gouvernement fédéral aurait cherché un moyen de faire la promotion des épinards, aliment alors réputé riche en fer, comme substitut à la viande, tout en vantant les mérites des conserves, qui n’étaient pas encore rentrées dans les habitudes alimentaires des Américains et qui représentaient un moyen efficace d’approvisionnement d’urgence. Le succès de cette propagande politique aurait été tel que les boîtes d’épinards auraient vu leur vente augmenter d’un tiers et que cet aliment serait devenu le plat préféré des jeunes Américains, après la dinde et la glace. [22] Popeye est donc un personnage ambivalent : d’un côté, le côté affabulateur de ce « sailor man » grand amateur de pipes est regrettable, puisqu’il a véhiculé pendant des décennies le mythe – encore tenace – de la pseudo richesse en fer des épinards. [23] Mais à sa décharge, il faut reconnaître l’importance du rôle qu’il a joué pour populariser la boîte de conserve à l’échelle mondiale. Finalement, la série Popeye, dans les années 1930, pouvait se résumer à cette consigne : « Vous pauvres américains, mangez peu mais mangez bien ! ». C’est certainement le contexte économique et social qui justifie également la création du personnage de Wimpy, cet acolyte d’Olive et de Popeye que ce dernier rencontra lors d’un combat de boxe qu’il arbitrait. Wimpy (« Gontran » dans la version française) qu’on ne voit jamais sans son hamburger, est obsédé par la nourriture. Cette obsession fait écho à l’angoisse de la faim parmi la population américaine. Or, de par son appétit insatiable, Wimpy est un personnage coupable: son indifférence à tout ce qui peut se passer autour de lui quand il mange, conduit souvent ses acolytes à se mettre dans des situations compromettantes et dangereuses.

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Comme aurait pu dire Barthes [24], l’objet « boîte de conserve » ne se réduit pas à la chose. Derrière la chose, il y a le mythe, que nous nous proposons ici de déconstruire, une boîte magique dont nous nous proposons de révéler le secret. À travers l’ordinaire opacité de la boîte de conserve [25], nous pouvons voir se dessiner et entendre gronder les grands bouleversements économiques, sociaux, politiques, culturels des deux siècles qui viennent de s’écouler dans le sang, la haine, l’effroi et la joie.

Par sa conception (sa forme, sa résistance, etc.), cette chose est facile à manipuler, à stocker, à étiqueter. Les capitalistes ont su l’adapter très tôt au système de production industrielle, au taylorisme et au travail à la chaîne. Elle joua d’abord un rôle non négligeable dans le développement des guerres modernes en facilitant le ravitaillement des armées de chair à canon. Si la première à en faire usage et à en vanter très tôt les mérites fut la marine, c’est l’armée de terre qui en fera une consommation immodérée. La première grande guerre durant laquelle la boîte de conserve fit la démonstration de son efficacité fut la Guerre de Sécession. [26] Pendant la guerre de 14, la conserve devint l’élément central de la ration alimentaire de l’armée américaine. Dans le film Block-Heads [27], avec Laurel et Hardy, Laurel le maigrichon, oublié dans une tranchée, y survivra 20 ans, grâce à un stock de boîtes de conserve. [28] Mais revenons à notre théorique tambouille : si le militaire est familier de la conserve, il faudra toutefois attendre le 20e siècle pour que se généralise dans la population civile l’usage de la boîte métallique, avant qu’elle ne devienne ce symbole de la société de consommation et de l’idéal marchand de la goinfrerie capitaliste. Dans de nombreux pays subsistera pendant quelques décennies une méfiance, si ce n’est une défiance à l’égard de cet objet dont on ignore le contenu, objet mystérieux et impénétrable. [29] C’est à la propagande publicitaire qu’on doit cette persuasion des populations à manger de la nourriture en conserve : dans un juste retour des choses, c’est en partie grâce à la conserve qu’on doit l’essor de la publicité. Les deux connaîtront leur heure de gloire après la Seconde Guerre mondiale, avec les Trente glorieuses et l’expansion de la société de consommation en Europe de l’Ouest. Le monde moderne fait alors de cette boîte appertisée un fétiche qui deviendra l’emblème de ces temples de l’abondance de la marchandise alimentaire que sont les supermarchés. Les lignes interminables des rayonnages de conserves qui répondent à celles des conteneurs des zones portuaires [30], aux lignes des barres d’immeubles et aux quadrillages des zones urbaines représentent la géométrie uniforme et aliénante d’un monde où les états de révoltes rivalisent avec les états dépressifs.

 

 

 

L’art contemporain n’a pas pu non plus ignorer cet objet qui reste aujourd’hui une source d’inspiration pour de nombreux artistes qui, souvent, en manquent. Cette pierre philosophale cylindrique n’a laissé indifférente aucune avant garde du 20e siècle. Nous serions même tenté de penser qu’elle a exercé sur l’art une sorte d’envoûtement, de vampirisation. Serait-ce en raison de cet ensorcellement de l’art contemporain par la totémique, la fétichisée boîte de conserve que les contempteurs de celui-ci le considèrent non pas tant comme un art de la décomposition que comme un art en décomposition ? Une chose est sûre : sans les boîtes Campbell’s, Andy Warhol serait resté ce qu’il a toujours été : un publicitaire. Par ailleurs, il est indélicat, si ce n’est indisposant, de présager de la conservation des Merda d’Artista de Manzoni dans de vulgaires boîtes en ferraille non hermétiques. [31]

Si l’histoire du conservatisme politique est intimement liée à celle des techniques modernes de conservation, et précisément à celle de la boîte de conserve ; et si, plus intensément, en démocratie, la conservation alimentaire nourrit le conservatisme politique [32], nous pouvons aller jusqu’à voir la boîte de conserve comme un objet de survie ultime, et les montagnes de stocks de conserves comme des remparts contre la fin, pourtant souhaitable, de ce monde marchand. Nous ne craignons pas d’ailleurs de gratter le fond obscur de la boîte de conserve pour toucher aux limites de notre théorie en affirmant que l’invention d’Appert questionne l’idée même d’instinct de conservation ! Nous laissons aux métaphysiciens le soin d’explorer plus précisément cette piste ontologique inédite.

Remarquez en tout cas que la plupart des fictions crépusculaires n’ont pu ignorer la conserverie. Dans le fameux Quinzinzinzili de Régis Messac, un des précurseurs en France du genre science-fictionnel, les premières victuailles que l’adulte survivant découvre dans un sac abandonné sont, entre autres conserves, des boîtes de sardines. [33] Plus récemment, dans le roman post-apocalyptique La route de Cormac Mc Carthy, il ne fait aucun doute que les deux protagonistes n’auraient pas marché bien longtemps avec leur Caddie à travers les Etats-Unis dévastés s’ils n’avaient pas trouvé sur leur chemin de la nourriture en conserve. [34] Nous sommes d’ailleurs tenté de penser – au risque que cette hypothèse, à l’instar du jeu de kermesse, ne chamboule tout dans l’étude des sous-genres littéraires et cinématographiques – que la dystopie post-apocalyptique est inimaginable sans la boîte de conserve. Mais c’est, comme qui dirait, une autre histoire.

 

 

 

 


[1] Roland Barthes, « Le Pauvre et le prolétaire », in Mythologies, Le Seuil, 1957.

[2] Friedrich Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845.

[3] Il est intéressant de constater que la symbolique du festin cristallise toujours les antagonismes de classe : la soirée au Fouquet’s du président Sarkozy le soir de son élection en 2007, les critiques contre le dîner du Siècle, etc.

[4] Extrait de la déclaration du proudhonien Henri-Louis Tolain au meeting de Saint-Martin’s Hall, en 1864, qui inaugure la création de la Ire Internationale. Cité in Mathieu Léonard, L’émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale, La Fabrique, 2011.

[5] Il faut dire qu’on mange beaucoup dans la littérature de cette fin du 19e et du début du 20e siècle. Cf. par exemple, Paul Aron (dir.), Les mots de la faim : les écrivains et la nourriture, Le Cri édition, 2003, ou encore le Colloque qui s’est tenu à Strasbourg en octobre 2011, Faim(s) de littérature. L’art de se nourrir au 19e siècle.

[6] Georges Vigarello, Les métamorphoses du gras. Histoire de l’obésité du Moyen Âge au 20e siècle, Seuil, 2010

[7] Un des plus célèbres artistes de la faim est, au début du 20e siècle, l’Italien Giovanni Succi. Notons pour l’anecdote que ces performeurs étaient souvent accusés de tricherie durant leur jeûne. En écho à cela, Karl Kraus dans son journal, Die Fackel, écrivait : « On est en Allemagne bien plus implacable encore avec les artistes de la faim qui ne veulent pas tenir bon qu’avec les princes qui lors de la Première Guerre mondiale se sont envoyés bien plus de choses que du sucre de malt et ont bien autrement trompé les spectateurs. »

[8] L’image des queues devant les magasins d’alimentation dans les pays d’Europe de l’Est après 1945 ne fut-elle pas pour de nombreux quidams de l’Ouest une des images les plus frappantes de l’aberration du système, bien plus que les purges et les goulags ? Ces queues renvoyaient au souvenir ému des queues de la France occupée, décrites non sans un certain plaisir à l’époque par Paul Achard dans son livre La Queue, réédité en 2011 aux éditions Mille et une Nuits.

[9] Massimo Montanari, La Faim et l’Abondance, Le Seuil, 1995, p. 212. Voir aussi sous la direction de Montanari et Jean-Louis Flandrin, la somme Histoire de l’alimentation, Fayard, 1996.

[10] Peur qui resurgit inévitablement en période de guerre ou de crise, à l’instar de ce qui se profile aujourd’hui en Europe avec la crise économique ; le premier réflexe n’est-il pas alors le stockage de conserves ?

[11] Cf. l’étude célèbre de Norbert Elias, La Civilisation des mœurs,dans laquelle on apprend entre autres choses pourquoi, à table, le risque est moins grand de se voir planter par son voisin une fourchette ou un couteau dans l’œil ou dans le bras aujourd’hui qu’il y a 600 ans.

[12] Cité par Ernest Fribourg dans L’Association internationale des travailleurs (1871). In Mathieu Léonard, op. cit.

[13] Jean-Paul Barbier, auteur d’un Nicolas Appert : inventeur et humaniste (Royer, 1994), est aussi le fondateur de l’Association Internationale Nicolas-Appert grâce à laquelle, entre autres, le père de la boîte de conserve a aujourd’hui des rues à son nom. Ce qui est la moindre des choses.

[14] La boîte de conserve en fer blanc apparut à l’initiative des Rosbifs (pour rester dans la métaphore alimentaire), ainsi surnommés à l’époque par les Français qui devaient certainement jalouser l’alimentation carnée de leurs voisins d’outre-Manche.

[15] Pas le journal, mais la fraternelle communauté Homo sapiens.

[16] Nous ne sous-estimons pas les effets de la réfrigération et de la congélation dans le développement de la conservation alimentaire. L’importance de ces techniques sera très certainement l’objet d’un autre texte tout aussi passionnant que celui-ci.

[17] Le rapport au temps, à la durée est, faut-il le rappeler, un des principaux critères pour juger de la qualité d’un système de conservation. Le développement capitaliste est sans fin : pour les défenseurs de ce système, il représente tout autant la fin de l’Histoire qu’une histoire sans fin.

[18] Cf. par exemple le récent essai de Nathanaël Dupré la Tour, L’instinct de conservation (éd. du Félin, 2011), dont l’élégance du style ne parvient pas à masquer l’insignifiance du fond. N’est pas de Maistre qui veut. Notons également que Burke, singulièrement, était déjà un disciple d’Adam Smith et du libéralisme économique, à la différence de tous les autres grands penseurs conservateurs de son temps (Cf. Son ouvrage Thoughts and details on Scarcity,1796).

[19] Edmond Burke, Réflexions sur la Révolution de France, 1790. Il faut reconnaître qu’en France, depuis la mort de Maurras, on n’attache plus guère d’importance aux monarchistes, si ce n’est pour le folklore.

[20] L’inscription « agents conservateurs » sur les étiquettes des boîtes de conserve est un contresens. En réalité, cette expression recouvre généralement des agents colorants, des texturants ou des exhausteurs de goût.

[21] Si l’on se souvient du méchant Brutus, il nous semble important de rappeler que dans les premiers épisodes, les ennemis sont très divers. Dans le deuxième épisode par exemple, Popeye, en bon citoyen américain, doit se défendre contre ces sauvages et sanguinaires Indiens.

[22] Cf. Miss Cellania, « Five Comic Superheroes Who Made A Real-World Difference », daté du 24/06/2011 (http://www.neatorama.com/2011/06/24/5-comic-superheroes-who-made-a-real-world-difference/).

[23] Cf. Jean-François Bouvet (dir.), Du fer dans les épinards et autres idées reçues, Le Seuil, 1997.

[24] Roland, et non pas Paul. Les deux évoluent à la même période, mais le second comme footballeur professionnel. Remarque qui n’a que peu d’intérêt dans ce texte si ce n’est qu’il nous est déjà arrivé, plus jeune, de pratiquer ce sport avec une boîte de conserve.

[25] N’oublions pas qu’Appert utilisait à l’origine des contenants transparents et qu’aujourd’hui de nombreux produits appertisés ne sont pas conditionnés dans des boîtes de conserve opaques (bocaux, bouteilles, etc.).

[26] Dans sa nouvelle Le grand contrat pour la fourniture du bœuf conservé, Mark Twain, qui ne manquait pas d’humour, nous narre les péripéties burlesques d’un homme, perdu dans les méandres de la bureaucratie pour se faire rembourser un contrat de vente de conserves de bœuf qui avaient été destinées à l’armée pendant la guerre de Sécession.

[27] Block-Heads, réalisé par John G. Blystone en 1938.

[28] Se nourrissant, pendant ces deux décennies, exclusivement de conserves (vraisemblablement des fayots), ces dernières finissent par former un imposant monticule de boîtes métalliques vides à côté de la tranchée. Notons que l’idée de départ de ce film s’inspire d’un court métrage de 1926, Soldier man. Harry Langdon, clown triste du cinéma muet américain aujourd’hui méconnu, interprète le rôle d’un soldat qui n’a pas pris conscience que la guerre était finie, à l’instar du personnage de Stan Laurel. Mais à la différence de ce dernier, lui erre dans la campagne, affamé.

[29] Les peurs alimentaires, loin d’être nouvelles en cette fin du 19e siècle, y sont néanmoins prégnantes. Cela peut sembler paradoxal, mais durant cette période, le développement des techniques modernes de conservation engendra une augmentation des scandales sanitaires et de la falsification des produits alimentaires. Cf. Madeleine Ferrières, Histoire des peurs alimentaires, Le Seuil, 2002.

[30] Cf. le livre de Marc Levinson, The Box. Comment le conteneur a changé le monde (Max Milo, 2011) qui montre l’importance de l’invention du conteneur à la fin des années 1950 dans le développement de la mondialisation capitaliste.

[31] Signalons quand même que certains acquéreurs de ces boîtes, au nombre de quatre-vingt-dix et contenant chacune trente grammes d’excréments de l’artiste, ont connu quelques désagréments, en raison précisément de problèmes d’étanchéité.

[32] Évidemment, le conservatisme des régimes dictatoriaux de type Corée du Nord repose sur des bases différentes, puisqu’il nécessite un autoritarisme d’autant plus fort que la précarité alimentaire est grande.

[33] Régis Messac, Quinzinzinzili, La Fenêtre ouverte, 1935, réédité par L’Arbre vengeur en 2007.

[34] Cormac Mc Carthy, La Route, L’Olivier, 2008.