à londres

présentation

Après avoir essayé d’approcher, dans l’autre versant de cette publication, la modeste maison de Janet et sa famille, possédée par ce poltergeist insaisissable, sise dans une rue d’Enfield, partira-t-on ici de ce borough, le plus septentrional du Grand Londres, pour une brève visite0 de cette métropole à la géographie urbaine et à l’histoire sociale marquantes même outre-Manche, en tant que premier centre mondial du capitalisme – et toujours une de ses places fortes.

Bien que ce ne soit pas le but de cette publication, les analyses ici rassemblées peuvent éclairer ‘la question du logement’1 au-delà des spécificités anglaises. Les évocations de certains espaces de Londres seront le prétexte pour mentionner plusieurs moments de la lutte des classes dans cette ville depuis la fin des seventies, particulièrement sous les gouvernements dirigés par Margaret Thatcher : les années 1980, décennie de la réussite libérale et de la réduction abrupte de certaines productions industrielles, dans un contexte de récession, furent également une période où l’antagonisme de la classe ouvrière s’avéra offensif, malgré une répression de plus en plus brutale.

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Les textes : tout d’abord, Sonia Arbaci Sallazzaro, enseignante à l’Université de Londres, décrypte les mécanismes politiques et économiques qui gouvernent aux dispositifs du logement (notamment ‘social’, géré en Angleterre par les ‘public councils’ locaux) et leur impact en termes de discriminations, spécifiquement dans la métropole, dans un entretien (septembre 2022) mené par Dirk Gebhardt, géographe scrutant les politiques migratoires à l’échelle de grandes villes européennes – qui a ajouté à cette discussion quelques pistes de réflexions théoriques sur les enjeux de la ‘gentrification’ et de la financiarisation de certaines villes et du logement, invitant à certaines lectures de ‘géographes critiques’.

À la suite de ces approches universitaires, vous pourrez lire des traductions (partielles2) de trois textes écrits par des collectifs politiques londoniens : « la question du logement en Grande-Bretagne » a été publié en 2005 dans la revue du groupe Aufheben et « West London » est le premier chapitre du livre Class power on zero hours (2020), du groupe Angry Workers, une ‘enquête ouvrière’ contemporaine dans le Grand Ouest du Grand Londres, au pied des pistes de l’aéroport d’Heathrow. Ensuite, un récit très court de ‘l’hiver du mécontentement’ (1978-1979), dont le souvenir s’est (relativement) ravivé depuis 2022 : le mouvement social britannique qui s’est poursuivi au moins jusque 2023 £3 (moment de publication de cette brochure), par des grèves nombreuses, suivies, répétées, parfois inédites dans certains secteurs, et d’autres mobilisations sociales (campagne ‘Don’t pay UK’ contre les augmentations vertigineuses des factures d’énergie), rappelle que l’inflation (sans précédent au pays du Brexit) nécessite de remettre encore plus sur le métier l’ouvrage de la question des salaires, moteur de la conflictualité de classes permanente.4

Pour finir, Xavier Manchuel s’est souvenu d’un film pas (encore ?) tout à fait classique mais pour sûr emblématique à bien des égards, et pas seulement cinéphiliques : Le Métro de la mort (Death Line, 1972). L’occasion de parler dans ces lignes du London Underground, qui transporte environ cinq millions de personnes chaque jour le long de ses 400 km de rails, et surtout de signaler que les travailleurs y forment un secteur particulièrement combatif à Londres, préférant souvent l’auto-organisation, sans ou à côté du principal syndicat en place (le RMT, Rail, Maritime and Transport Union, à l’origine des premières grèves du mouvement de 2022-2023 5) pour lutter contre les multiples offensives de la régie de transport pour privatiser une large partie des activités de maintenance et d’entretien du réseau (voies, rames, stations), en créant au début des années 2000 un ‘partenariat public-privé’ entre l’Autorité du Grand Londres et le consortium Metronet. Depuis, plusieurs grèves sauvages (wildcats) ou syndicales ont lieu chaque année, concernant à chaque fois des milliers de grévistes. £ Avec le logement (et la santé et l’éducation, que nous n’aborderons point dans ces pages), le transport pendulaire (trajets domicile-travail) est un pilier de la fameuse ‘reproduction du capital’.

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Un petit tour par ce qu’on peut entendre par ‘Londres’ permettra de préciser certains termes et notions utilisés dans ces textes avec lesquels on n’est pas forcément familier en France. La Cité de Londres, commune historique (depuis l’antiquité romaine) et politiquement autonome (police, éducation, etc.), sur la rive gauche de la Tamise, est connue comme étant devenue le centre financier le plus actif sur la planète (avec Manhattan), regroupant sur moins de 3 km2 les sièges de centaines de compagnies bancaires et financières (assurances, fonds de pension…) mondiales. (Depuis les années 1990, un deuxième centre financier a été érigé à Canary Wharf, à quelques miles à l’est de la City, sur d’anciens docks.) Moins de 10.000 personnes y habitent, près de 800.000 y travaillent chaque jour, soit presque 20 % de la population active de Londres. 6 En 1983 puis 1984, plusieurs milliers d’activistes anticapitalistes répondirent à l’appel ‘Stop the City’, pour des blocages par tout type d’actions (manifestations, piquets, carnaval, die-in…) du quartier. Ces journées d’actions, certes plus symboliques qu’efficientes, héritières de certaines mobilisations anti-nucléaires des années 1970, ont été les prémices des mouvements de ‘road protests’ et ‘reclaim the streets’ dans les années 1990. £

La City est le centre historique et géographique du Grand Londres. Quand on prononce ‘Londres’, c’est généralement que l’on parle du ‘Greater London’ (dont l’espace est dorénavant strictement cerné par la M25 7, autoroute de 188 km, inaugurée en 1986 par Margaret Thatcher). Cette entité, qui a statut de région (l’Angleterre en compte neuf), a été instituée en 1965, regroupe un peu moins de 10 millions d’habitants8 et se compose, outre la City, de trente-deux boroughs. Un borough est une subdivision administrative dont le Conseil (Council) est en charge notamment de l’éducation, des services sociaux, des déchets, du réseau routier. Le logement est une charge partagée entre chaque borough council et l’Autorité du Grand Londres (un borough ne correspond donc pas aux arrondissements français). Chaque borough regroupe plusieurs quartiers (districts) : Brixton, dont le tube Guns of Brixton, des Clash, présumait dès 1979 que s’y dérouleraient de nombreuses émeutes, ce qui s’y vérifia régulièrement jusque dans les années 2000 £, est un quartier ‘afro-caribéen’ du borough de Lambeth, au sud de la Tamise ; Whitechapel (Jack l’éventreur) un district du borough de Tower Hamlets, dans l’East End.

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Restons dans l’East End : cette aire urbaine, surnommée ‘docklands’, recouvre les boroughs historiquement concernés par les activités industrielles, logistiques et commerciales du port de Londres, en grande partie liées à l’histoire coloniale du pays, où après des décennies de transformations urbaines à marche forcée, bâtiments, rues et populations n’ont plus grand’chose à voir avec les coupe-gorges, le smog absolu et la misère crasse que décrivaient Charles Dickens et Jack London – depuis les années 1990, les dockers et migrants internationaux, arrivés par ce port, s’installaient jusqu’alors dans ces quartiers9, ont été relégués loin dans les périphéries de la métropole. Les activités portuaires ont été déplacées et agrandies vers l’Est, le long de la Tamise, jusqu’à son estuaire dans la mer du Nord, à 60 km de la City : 150 km de quais, 70 terminaux, font encore bosser 30.000 ouvriers (chiffre auquel on peut ajouter les près de 5.000 dockers à Felixstowe, premier port britannique à conteneurs, à une cinquantaine de kilomètres au nord).

En 1986, le quartier de Wapping, borough de Tower Hamlets, a été le lieu de l’autre grande grève (54 semaines), avec celle des mineurs (1984-1985), scellant les plus grandes défaites de la classe ouvrière britannique face aux brutales offensives thatchériennes : les 6.000 grévistes de l’immense imprimerie du consortium News Corporation de Murdoch (The Times, The Sun, Today, etc.) ont été licenciés, après avoir subi tout au long de leurs blocages et autres actions un harcèlement politique, médiatique, policier et judiciaire sans limite. £

Avec ceux de l’East End, douze boroughs constituent l’Inner London (ou Center London) autour de la City, comprenant également le West End (Westminster, Camden, Kensington and Chelsea, etc.), dont le centre géographique est Picadilly Circus – zone où l’immobilier est le plus cher non seulement à Londres, mais aussi dans le monde. Mais comme l’explique Sonia Arbaci, on peut trouver des îlots de logements sociaux même dans certains coins résidentiels particulièrement opulents, créant des contrastes architecturaux étonnants dans des voisinages proches, entre villas aristocratiques et bourgeoises, maisons victoriennes habitées dorénavant par une ‘classe moyenne’ 10 très aisée, et (très) hauts immeubles, dans un style typiquement ‘brutaliste’, souvent mal entretenus, de logements sociaux (un peu comme si les arrondissements centraux parisiens avaient été  parsemés de hauts immeubles HLM, et ainsi atteints de ‘sarcellites’) – en juin 2017, dans le district de North Kensington, la Tour Grenfell, dont les 24 étages furent construits en 1972, et dont la plupart des appartements relevaient encore d’un Public Council, est passée de manière tragique dans l’histoire : en quelques instants, l’immeuble s’est totalement enflammé, tuant 72 personnes, en blessant gravement plus de 70 autres et plus légèrement 900. Les alertes régulières d’habitants quant à un risque d’incendie depuis la pose, en 2015, d’un nouveau revêtement extérieur mal ignifugé, étaient restées vaines.11

Dans le même borough (Kensington and Chelsea), Notting Hill est un quartier devenu l’un des plus chics de la capitale, après avoir été celui de nombreux Caribéens arrivés à la décolonisation avec des contrats de travail aux garanties les plus faibles, où se déroulèrent les premières dites ‘émeutes raciales’ – en 1958, attaques répétées de membres de la White Defence League contre des jeunes adultes du quartier (dont le livre, puis le film, Absolute Beginners, se sont fait l’écho) ; puis en 1976, lors du celèbre carnaval alors sans autorisation (seul vestige de cette configuration sociale du quartier, le carnaval est devenu un des plus fréquentés au monde, les touristes applaudissant au spectacle sponsorisé des défilés), émeutes contre les incursions de la police dans les cortèges. £

Dans les années 1970, des rues entières sont squattées dans le West End par plusieurs dizaines de milliers de personnes (encore 20.000 squatters estimés en Angleterre dans les années 2000) : beaucoup de familles déclassées, migrantes ou non, y vivent ainsi dans un contexte de crise de logement à Londres perdurant depuis les destructions de la Seconde Guerre mondiale 12, produisant une intense activité ‘alternative’, ‘contre-culturelle’ et politique : de larges organisations voient alors le jour, telles que l’Advisory Service for Squatters, puis le Squatters’ Action for Secure Homes, qui promulguent conseils pratiques et défense juridique. En 1977, le Greater London Council décrète une amnistie pour l’ensemble des squatters. Mais l’occupation sans droit ni titre a été constituée en crime en 1994 par la Criminal Justice Bill, loi votée en réaction à l’étendue des rave-parties et des caravanes et campements de travellers, puis en 2012, par une loi renforçant la criminalisation (jusqu’à l’emprisonnement) du squatt. 13 Plusieurs Housing co-operatives continuent d’y exister.

C’est aussi dans le West End que l’on peut photographier Trafalgar square, où se déroulèrent en 1990 les émeutes contre la Poll Tax (plus de 100.000 personnes), point d’orgue d’une vaste mobilisation sociale contre cette loi instituant un impôt locatif par individu (‘capitation’) et non plus par foyer : près de 20 millions de personnes refusèrent de payer – ces événements précipitèrent la fin du gouvernement de Thatcher (mais pas du thatchérisme, loin de là), remplacée peu après ces événements par son acolyte John Major, qui retira la loi. £

Toujours dans l’Inner London, cette fois dans le borough de Wandsworth (sud-est), le South London Women’s Hospital a été occupé en 1984-85 pendant presque un an contre sa fermeture programmée. En vain. L’immense bâtiment victorien a été promis à une destinée immobilière bien plus lucrative. £

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L’Outer London se compose des vingt autres boroughs du Grand Londres et forme un anneau autour de l’Inner London. Plus de cinq millions de personnes y vivent, dont 50.000 environ dans le district de Greenford (Ealing), situé à 18 km à l’ouest de la City : le texte des Angry Workers en présente un paysage social, en terme de composition de classe et de l’organisation du travail qui s’y effectue, dans les confins occidentaux de la métropole. Comme son titre l’indique, Class power on zero hours, cet ouvrage s’attache à décrire, à l’échelle de la zone de concentration d’entreprises et d’entrepôts la plus élevée à Londres (où travaillent les auteurs), les ‘contrats zéro heure’, dont l’Angleterre est un pays particulièrement friand, où seraient concernées près d’un million de personnes, soit 3 % des ‘actifs’ : ces contrats ne garantissent aucun volume horaire, ni donc de salaire quotidien, hebdomadaire ou mensuel, stipulant que les travailleurs doivent se rendre disponibles 24h/24 auprès des employeurs en fonction de leurs exigences de production – restauration, hôtellerie, jusqu’aux services de santé voire de l’éducation, ce sont tant les boîtes privées, dont les associations (35 % de leurs contrats), que les employeurs publics qui profitent d’une telle ‘flexibilité’.

Pour finir cet aperçu de la géographie sociale de Londres, repassons tout de même par Enfield, borough situé tout au nord de l’Outer London, à une quinzaine de kilomètres de la Tamise, où habitent 150.000 personnes (et au moins un poltergeist ?). En 2009, Visteon, équipementier automobile fournissant principalement Ford, décide de fermer ses trois usines britanniques, à Belfast, dans l’Essex et à Enfield – les sites sont immédiatement occupés, voire saccagés (Essex) par la plupart des 600 ouvriers (227 à Enfield) qui restent sur le carreau. Sous pression du syndicat Unite, l’occupation à Enfield cesse au bout d’une dizaine de jours, malgré un soutien croissant de personnes de tout Londres ou des travailleurs d’autres sous-traitants du constructeur automobile. Certains considèrent cette grève comme particulièrement symptomatique de l’état de la lutte des classes en régime post-fordiste. £

À quelques kilomètres au sud-est d’Enfield, dans le borough de Waltham Forest, s’accentua en 1993-1994 une longue lutte contre la démolition d’un quartier pour y faire passer une rocade pénétrante, venant du nord-est de Londres, la M11, par l’occupation de l’ensemble des maisons, vidées et rendues ‘inhabitables’ par les autorités, de la Claremont road. £

Enfield voisine également (au sud) avec le district de Tottenham, d’où partirent des révoltes massives en août 2011, suite au meurtre de Mark Duggan par la police métropolitaine. Pendant cinq jours, dans la plupart des quartiers les plus paupérisés du Grand Londres (Enfield, Hackney, Brixton, Southall, Croydon, Islington, Bethnal Green, etc.), puis d’autres villes grandes (Liverpool, Bristol, Birmingham) et moins grandes, des dizaines de milliers de personnes s’affrontèrent à la police, causant cinq morts, des centaines de blessés et des dommages économiques estimés à plus de 100 millions de livres (incendies et pillages). Environ 3.000 émeutiers furent arrêtés. £

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Quelques mots encore à propos de Margaret Thatcher, pour surligner (s’il le fallait) le lien intrinsèque entre ‘la question du logement’ et ‘le mode de production capitaliste’ – et pour le plaisir de répéter ici un slogan encore entendu là-bas, et pas seulement par des foules joyeuses à l’occasion de sa mort en 2013, tant Maggy a raffermi la haine de classe : I still hate Thatcher.

En 1980, une des premières lois qu’elle fit passer est un Housing Act, instituant le ‘Right to buy’ décrit dans les pages suivantes. Au cours de ses trois gouvernements (1979-1990), elle promulgua deux autres Housing Acts : en 1985, pour faciliter le transfert du parc immobilier public vers des associations de gestion des logements sociaux ; en 1988, pour renforcer la privatisation du logement public et favoriser encore plus les propriétaires dans les modalités du bail – contrats annualisés, avec augmentation des loyers et possibilité de non-renouvellement sans motif. Ci-après, l’entretien avec Sonia Arbaci et le texte de la revue Aufheben reviennent en détails sur ces dispositifs. Un seul autre domaine fut attaqué avec autant de zèle par de nouvelles lois sous Thatcher, il s’agit du travail (on s’en doute) : Employment Acts de 1980 et 1982 et Trade Union Act de 1984, au tout début de la grève des mineurs – toutes ces législations restreignèrent drastiquement le droit de grève et l’activité syndicale ou considérée comme telle. Une histoire du ‘thatchérisme’, comme pensée et pratique politique, économique et sociale, grandement inspirée par les idéologues du néolibéralisme (terme, souvent mal employé, qui désigne la doctrine d’un courant spécifique du capitalisme, insufflée après-guerre par les économistes Milton Friedman et Friedrich Hayek) et de ses incidences contemporaines de plus en plus vives dans certains pays, mériterait un large détour, qui ne sera pas effectué ici.

Si ce n’est pour évoquer que cette histoire prend forme avant son arrivée à Downing street, s’enracinant dans les offensives politiques contre une lutte des classes à l’histoire déjà longue et dense (dont le penchant à l’autonomie des ouvriers vis-à-vis des bureaucraties syndicales, souvent complaisantes avec les gouvernements travaillistes, et même tories, depuis 1945, est marquant, mais sans rupture totale non plus) : la « maladie anglaise » désignait dans les années 1960-70 le fait que le pays avait alors la productivité la plus faible en Europe, et le nombre de jours de grèves le plus élevé, deux fois plus qu’en France (notons toutefois que la plupart des manifestations de l’anti-travail se sont concentrées dans quelques secteurs, ne concernant qu’environ 20 % de la main d’œuvre totale). Cette période a culminé en 1978-79 dans ‘l’hiver du mécontentement’, période du plus grand arrêt de travail au Royaume-Uni, dernière victoire de larges parties de la classe laborieuse, bien que les bas salaires n’aient guère été relevés. Certes, la contre-révolution thatchérienne en a été la réponse immédiate (le gouvernement travailliste démissionna à la suite de ce mouvement de grèves, les Conservateurs remportèrent les élections de mai 1979) : désinvestissement massif dans l’industrie manufacturière au début des années 1980, croissance sans fin de l’économie des services, provoquant une précarisation de l’emploi sans précédent, entraînant une forte fragmentation de la main d’œuvre, de manière encore plus brutale et rapide que dans d’autres pays, bien sûr pris dans des dynamiques sociales similaires – à la même époque, la gauche française n’en fait guère moins pour piétiner les résistances du travail face aux assauts du capital. En fin de cette brochure, est ainsi publié un bref récit, à lire sans idéalisation non plus, de ce winter of discontent, moment quelque peu mémorable.

Et pas particulièrement parce que cet épisode relevé de l’antagonisme social britannique s’est déroulé alors que le poltergeist d’Enfield renversait tout dans la maison de Janet et sa famille. Croyons aux banales coïncidences de lieux et de temps, laissons le ‘spectre’ de Marx et Engels où il se trouve, dans une lutte des classes toujours vigoureuse un peu partout sur la planète, même dans des formes renouvelées – pas en quelque métaphore laborieuse.

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0. Pages sans cartes, certes, mais l’imagination peut aussi faire paysage.
1. Depuis le texte fondateur de Friedrich Engels, La Question du logement, 1872.
2. Les versions intégrales de ces textes se lisent sur <https://quoique.net>.
3. Les ‘£’ dispersés dans ce texte sont des invitations à parcourir des récits plus détaillés des histoires relatées ici, à partir de sources indiquées dans la bibliographie au fond de cette brochure, principalement issues des archives de <libcom.org> et de la revue Échanges.
4. Peut-être peut-on également entendre ce récit à l’aune du mouvement contre la nouvelle réforme des retraites, en France en 2023, malgré des rapports de force guère comparables – d’autant plus que cette question des salaires est bien peu présente dans les manières de faire de ‘l’intersyndicale’, toute à ses popotes.
5. Lire avec profit l’analyse de la revue Échanges (n°181, hiver 2022-2023), en recontextualisant cette vague de grèves dans l’histoire des contestations ouvrières depuis le mouvement des ‘shop stewards’ des années 1970.
6. Une description des activités post-Brexit de la City a été publiée dans le Monde diplomatique en mai 2023.
7. Périphérique que Iain Sinclair a longé (à pied) au début des années 2000, ce dont il a fait un récit dans son livre London orbital (voir bibliographie).
8. L’on peut certainement regretter que fut opté, le long de ce numéro, par facilité lexicale, c’est-à-dire par une certaine paresse politique, l’usage peu satisfaisant d’un ‘masculin générique’ – ainsi, ‘habitants’ s’entend ‘habitant.e.s’, d’autant plus que le rapport (individuel et collectif) tant à la ville qu’à l’habitat (à la classe sociale) est particulièrement genré, par l’organisation, de la circulation – et de tant de formes urbaines de travail, dont celui, très domestique, de la ‘reproduction de la force du travail’. Cf. Space, place and gender de Doreen Massey (1994).
9. Huguenots français à la fin du 17e siècle, Juifs d’Europe centrale et orientale et Allemands (dont Karl Marx) au 19e siècle, migrants des pays du Commonwealth dans les années 1950-70… L’histoire des migrations nationales est également dense à Londres, tant les dialectiques ruralité/urbanité et Nord et Ouest (post-) industrieux/Sud-Est, dont Londres, beaucoup plus riche, fondent encore des enjeux de la démographie britannique.
10. La ‘classe moyenne’ est une catégorie sociale complexe à déterminer, c’est-à-dire souvent problématique, en termes politiques de rapports de classes. Page 12, Aufheben fait une mise au point sur cette terminologie bien peu satisfaisante.
11. L’effondrement de deux immeubles vétustes rue d’Aubagne, à Marseille, en 2018, causant huit morts, raconte une histoire similaire : propriétaires peu scrupuleux d’entretenir leurs logements dans un quartier (très) paupérisé, pouvoirs publics ‘absents’, etc.
12. Voir le texte de Aufheben ci-après. Évoquons aussi, encore plus courtement, les ‘grèves de loyers’ dont certaines ont marqué l’histoire des luttes britanniques de locataires dès les années 1960, et dont quelques unes ont repris une actualité lors des confinements liés à la pandémie de Covid-19, notamment par des organisations étudiantes.
13. En France, en 2023, est votée une loi « anti-squatt », prévoyant également des peines d’emprisonnement pour toute occupation sans droit ni titre, ainsi que pour les locataires ‘mauvais payeurs’, renforçant drastiquement les droits des propriétaires.