une brève histoire du mouvement de grève généralisé pendant l’hiver 1978-1979 en grande-bretagne
Traduit de « 1978-1979 : Winter of discontent ». Pour un récit plus détaillé, avec analyses et débats, lire « ‘To delightful measures changed…’ : reflections on the 1978-79 Winter of Discontent ».
Parmi d’autres facteurs, l’élément principal qui a provoqué l’arrêt de travail généralisé de centaines de milliers de travailleurs britanniques au cours de l’hiver 1978-1979 est la tentative du gouvernement travailliste de James Callaghan d’imposer de nouvelles limites aux augmentations de salaire, afin de juguler la poursuite de l’inflation, qui avait atteint un sommet de près de 27 % en août 1975. Cette année-là, le précédent gouvernement travailliste, voulant éviter des hausses de plus en plus élevées du chômage, avait convenu avec le TUC [Trades Union Congress, une des principales confédérations syndicales, proche des Travaillistes] d’une politique volontaire en matière de revenus, plafonnant les augmentations de salaire à des limites fixées par le gouvernement : le 11 juillet, le gouvernement annonçait leur limitation à 6 £ par semaine pour tous les travailleurs gagnant moins de 8.500 £ par an et le bureau du TUC votait rapidement en faveur de cette proposition. De nouvelles restrictions sont décrétées par le gouvernement tout au long de 1976 puis, en juillet 1977, il est annoncé que la libre négociation collective entre les employeurs et les syndicats sera progressivement rétablie.
Soucieux d’éviter une ruée vers les augmentations salariales de la part des syndicats, le gouvernement n’autorise le retour de la négociation collective qu’avec l’accord des syndicats pour maintenir les limites d’augmentation salariale convenues en 1976 et la promesse de ne pas rouvrir les accords conclus dans le cadre précédent, ce que le TUC accepte.
Bien que l’inflation ait diminué de plus de moitié en 1978, le gouvernement poursuit sa politique et introduit en juillet 1978 une nouvelle limitation de 5 % sur les augmentations salariales. À la surprise du TUC, qui s’attendait à la fin des limites salariales, la politique des 5 % est rejetée à une écrasante majorité par son assemblée générale et le retour immédiat à la libre négociation collective est réclamé. En septembre, James Callaghan annonce un report d’un an des élections législatives attendues pour l’automne, pour permettre à l’économie de se stabiliser.
L’étincelle qui déclencha la vague d’actions industrielles qui allait frapper le Royaume-Uni au cours des mois suivants fut allumée par les travailleurs de Ford Motors. En septembre 1978, l’entreprise propose une augmentation de salaire dans la limite des 5 % fixée par le gouvernement, mais les travailleurs la rejètent catégoriquement. Une grève sauvage commence et 15.000 travailleurs quittent le travail le 22 septembre et, le 26 septembre, 57.000 autres les rejoignent, mettant à l’arrêt 23 usines Ford dans tout le pays.
Alors que la grève n’est toujours pas ‘officielle’ au début du mois d’octobre, le Transport and General Workers Union [TGWU, un des principaux syndicats britanniques, affilié au TUC et cofondateur en 2007 du syndicat Unite], craignant le contrôle par la base des grévistes sur la suite du mouvement, décide de la soutenir le 5 octobre. Les revendications des travailleurs, à savoir une augmentation de salaire de 25 % et la semaine de 35 heures, sont officialisées et les négociations avec Ford commencent. Après plusieurs semaines, le TGWU accepte une augmentation salariale de 17 %, l’idée d’une réduction des heures de travail ayant été complètement abandonnée, et exhorte les grévistes à reprendre le travail le 22 novembre, ce qu’ils font.
Lorsqu’il est devenu évident, à la mi-novembre, que Ford allait proposer un accord salarial dépassant la limite de 5 %, des négociations entre le gouvernement et le TGWU débutent afin de parvenir à un accord concret sur la politique salariale dans le but d’empêcher de nouvelles grèves. Une politique peu contraignante est proposée, mais l’Assemblée générale du TUC la rejette. Le gouvernement tente d’imposer des sanctions à Ford pour violation de la politique salariale peu après la conclusion de l’accord avec le syndicat. Callaghan remporte de justesse une motion de confiance après que les sanctions aient été fortement amendées au Parlement et qu’il ait accepté qu’elles ne puissent être imposées. Le gouvernement se trouve ainsi dans l’incapacité de faire respecter la limite de 5 % d’augmentation salariale, laissant la porte ouverte à d’autres grèves dans le secteur privé et, plus tard, dans le secteur public.
Les chauffeurs routiers sont les suivants à se mettre en action. À l’initiative des conducteurs de camions-citernes de BP et d’Esso, qui avaient commencé à refuser de faire des heures supplémentaires pour obtenir une augmentation de salaire de 40 %, tous les camionneurs du TGWU font grève le 3 janvier 1979. Des milliers de stations-service sont fermées à cause de l’arrêt de la distribution, et les chauffeurs dressent des piquets de grève dans les ports du pays ainsi que des piquets volants devant les entreprises qui ont encore des camions sur la route. Les raffineries font également l’objet de blocages et des chauffeurs qui travaillent encore indiquent aux grévistes les dépôts qu’ils doivent livrer pour que les piquets de grève volants puissent empêcher les livraisons. Après avoir pratiquement paralysé les approvisionnements liés au transport par route, et après un peu moins d’un mois de grève, les chauffeurs acceptent un accord salarial d’à peine 1 £ de moins par semaine que ce que le syndicat avait demandé.
Les semaines qui suivent la grève des routiers ont été largement marquées par des actions de grève menées par les travailleurs du secteur public, déterminés à bénéficier des augmentations de salaire de leurs homologues du secteur privé. Un certain nombre de grèves importantes ont été lancées, dont plusieurs évoquent encore des images emblématiques de la lutte de l’hiver 1978-79.
Le 22 janvier, une ‘journée d’action’ est organisée par les syndicats du secteur public, à la suite de plusieurs grèves de cheminots qui avaient déjà commencé. Avec 1,5 million de travailleurs en grève, cette journée a marqué le plus grand arrêt de travail général au Royaume-Uni depuis la grève générale de 1926. Des manifestations de masse ont lieu dans de nombreuses villes, dont Londres, Cardiff, Édimbourg et Belfast. Environ 140.000 personnes participent à celle de Londres. Les écoles et les aéroports sont fermés en raison du manque de travailleurs. Après le 22 janvier, de nombreux travailleurs restent en grève pour une durée indéterminée. Les adhérents du Royal College of Nursing, traditionnellement l’un des syndicats (de personnels infirmiers) les moins militants du pays, se mobilisent également et exigent une augmentation de salaire de 25 %. Depuis mi-janvier, la plupart des ambulanciers et des personnels de plus de 1.000 établissements du National Health Service (le NHS, le service public de santé) refusent de prendre en charge autre chose que les urgences.
Une grève de fossoyeurs a lieu à Liverpool et à Tameside fin janvier. Événement dont les souvenirs de l’époque sont encore marquants : un responsable local de la santé avait confié à un journaliste que les autorités envisageaient des ‘enterrements’ en mer si la grève se prolongeait. Après deux semaines de grève, les fossoyeurs acceptent une augmentation de 14 % et reprennent le travail.
Une autre grève mémorable, survenue vers la fin de l’hiver, est celle des travailleurs du ramassage des poubelles. De nombreux éboueurs étant en grève depuis le 22 janvier, les municipalités manquent de place pour stocker les déchets. À Londres, les ordures sont entassées sur plusieurs mètres de hauteur à Leicester Square, dans le centre de la ville, après que le Conseil de Westminster ait décidé cette solution. Ces déchets ont attiré les rats et, de manière assez indistincte, les médias conservateurs, qui ont utilisé des photos de Leicester Square pour tenter de discréditer les grévistes. Poursuivant tout au long de l’hiver leur campagne constante pour critiquer les grévistes sous le prétexte de la « rupture du service public », les images de la montagne d’ordures ont été utilisées comme un autre front sur lequel attaquer les travailleurs. La grève des éboueurs s’est terminée le 21 février, lorsque les travailleurs ont accepté une augmentation de 11 % et 1 £ supplémentaire par semaine, avec d’autres augmentations envisagées pour plus tard.
Le TUC et le gouvernement annoncent la fin des grèves le 14 février, après des semaines de négociations. Une proposition est soumise au TUC, qui l’accepte après plusieurs jours de débat, mettant ainsi un terme à un mouvement social très conflictuel qui a duré tout l’hiver.
En raison du manque de contrôle de nombreux syndicats sur leurs adhérents à cette époque, beaucoup de grèves ne prennent pas fin immédiatement après l’accord, ce qui confirme que l’initiative a surtout été du fait de nombreux travailleurs de la base tout au long de la période, désireux et capables de travailler et de lancer des grèves en dehors du contrôle de leur syndicat. La plupart des travailleurs avaient néanmoins repris le travail à la fin du mois de février, après avoir fait perdre au total 29.474.000 jours de travail dans le pays. L’action directe a permis d’endiguer la vague de réductions salariales effectives dues à l’inflation, qui avait rogné la valeur des salaires, en obtenant des améliorations significatives pour plusieurs dizaines de milliers de travailleurs.