west london

Extraits du premier chapitre du livre Class power on zero hours, publié en 2020 par le collectif Angry Workers, livre disponible en format numérique ici.

La station de métro de Greenford. Des gens portant du polyester ‘Sports Direct’ avec des poches sous les yeux. Des groupes de jeunes en chaussures de sécurité, les poubelles débordant de canettes de boissons énergisantes et de clopes, de la puanteur dans l’air. Pause-déjeuner à l’entrepôt Wincanton. On s’amuse. Qui se soucie des contrats de travail ‘zéro heure’ et de ce putain de taux de prélèvement ? Sur le mur, des autocollants des ultras de Varsovie. Des dizaines d’annonces manuscrites de ‘chambres à louer’ en vitrine, la plupart en polonais, hindi, tamoul. « Chambre uniquement pour végétariens ». Probablement des Gujaratis. D’affreuses rangées de baies vitrées enflammées donnant sur le North Circular. Nous partageons une chambre maintenant. À côté, la propriétaire, son mari, qui travaillait comme mannequin à Mumbai et vend maintenant des canapés à Wembley, et leur bébé qui hurle. Au dessus, des Roumains. Et un Bulgare qu’on ne découvre qu’au bout de deux mois parce qu’il travaille de nuit. Les Polonais d’à côté fument de l’herbe puis s’entraînent à la boxe ou au tir à l’arbalète. Ils nous aident à fendre du bois, pieds nus. Ils ont l’air de durs avec leur serpent de compagnie, mais ils aiment Shakira. Leur propriétaire – la femme qui a signé le contrat de location – est une mère célibataire de Katowice qui conduit des bus depuis le dépôt d’Acton. Elle dit que l’atmosphère est devenue aigre après le référendum [pour le Brexit, 2016]. Hostile. C’est la banlieue. Presque personne ne va dans le centre, jamais. Travailler, boire quelques canettes, cuisiner du dhal pour la famille, travailler encore, décharger, emballer, envoyer toutes sortes de merdes au reste de Babylone. Tous viennent de quelque part plus à l’Est. Attendre ici avec les acomptes hebdomadaires. Le loyer augmente, la livre baisse et c’est tout. En attendant, on se serre les coudes, on apprend un peu de somali avec Abdi, on achète des cigarettes bon marché avec Pawel et on rigole avec Jyoti, lors de nos pauses sur des chaises en plastique dans la cantine de tel ou tel trou d’enfer aux murs de tôle.

[…] Nous avons décidé de nous installer vers les points névralgiques logistiques de la ville, dans les badlands de l’Ouest. Dans ce livre, vous entendrez beaucoup parler des lieux de travail industriels et logistiques d’ici – dans une ville considérée comme l’une des métropoles les plus radicalement ‘désindustrialisées’ du monde occidental. Alors que les gens mettent l’accent sur la disparition des docks londoniens et de l’industrie locale au profit de la puissance financière croissante de la City, les travailleurs industriels ont été relégués à la périphérie et rendus invisibles.

[…] En termes d’infrastructure et de fonction, ce qu’on appelle le ‘corridor ouest’ joue un rôle vital pour la survie quotidienne de Londres. Il s’agit essentiellement d’une zone autour de deux artères, la M4 et l’A40, et d’une connexion mondiale via l’aéroport d’Heathrow, qui emploie environ 80.000 personnes. Des entrepôts autour de l’aéroport et dans les villes voisines de Hounslow et Southall font travailler 10.000 personnes supplémentaires ; Greenford et Perivale, près de l’A40, emploient environ 15.000 travailleurs, et la principale zone industrielle, Park Royal, compte environ 40.000 travailleurs. La distribution de marchandises et la transformation des aliments sont les principales activités industrielles. Environ 60 % de la nourriture consommée par plus de huit millions de personnes à Londres est manipulée, emballée ou traitée le long de ce corridor occidental.

La main-d’œuvre des entrepôts et des usines est essentiellement composée de migrants, principalement originaires d’Asie du Sud et d’Europe de l’Est. La plupart des travailleurs vivent à proximité de leur lieu de travail dans de vastes zones de maisons mitoyennes de banlieue. Construites dans les années 1930 et 1950, ces maisons étaient destinées aux familles nucléaires de quatre à cinq membres. En raison des loyers élevés, les travailleurs ont maintenant tendance à partager ces maisons, parfois avec une dizaine de personnes. Avant d’examiner de plus près la composition actuelle de la banlieue ouest, jetons un coup d’œil à l’histoire récente des classes sociales de la région.

[…]

plan
1. l’histoire de l’ouest de londres
2. le ‘corridor ouest’ aujourd’hui
3. logistique urbaine
4. heathrow
5. park royal, joyau de l’avant-garde ouvrière
6. la classe politique
7. les ‘communautés’
8. luttes