sous le voile de la fable appropriée 1

Contournons le titre. Regardons la toile. La scène peinte se situe dans un intérieur d’habitation. Lourdes tentures de velours vert mordoré qui ferme l’arrière-plan, matelas moelleux aux draps blancs et couverture verte brodée d’or, une chambre confortable sans aucun doute. S’y déroule une attaque violente qui occupe tout l’espace pictural. Un homme à l’œil enflammé se jette sur une femme nue. Dans une chorégraphie sinistre, leurs deux corps s’épousent et s’opposent. La violence de la charge incline les deux corps dans une même oblique qui dynamise la composition, du bas à gauche en haut à droite, des pieds de l’agresseur jusqu’à la main, tendue et ouverte vers le ciel, de l’agressée. La diagonale structurante conduit le regard vers les jambes des protagonistes comme première zone d’intrication et d’opposition. Le genou droit masculin se projette entre les cuisses de la femme qui, cependant, ramène sa jambe droite vers l’intérieur. Ce mouvement de protection noue étrangement le drap en une boule qui empêche fortuitement le contact direct entre le genou agresseur et le sexe féminin. Plus haut, la femme se renverse sous l’assaut, bascule vers l’arrière d’autant que l’homme, d’une poigne ferme sur la chair tendre, s’empare du bras droit féminin et le rejette verticalement. Il ouvre la garde de sa proie. Néanmoins, le bras gauche de la femme retient le torse lourd et massif de l’homme et induit une oblique oppositionnelle qui contrarie le mouvement d’ensemble des deux figures. Cette oblique se prolonge via le bras droit de l’assaillant, lequel bras semble donc rejeté en arrière mais, ironie tragique, ce mouvement contraire sert à armer un coup qui s’annonce implacable : le coup d’une lame brillante orientée vers la femme désormais démunie pour la contrer. La fin semble inéluctable. La femme se défend malgré son effroi. Elle résiste mais dans les larmes car elle sait : même si depuis quatre siècles, le coup n’a pas été asséné, reste en suspens et plane au-dessus de la scène, le dénouement sera inexorablement funeste. […]

Lucrèce et Tarquin par Tite-Live et Ovide