financiarisation du logement à londres

Entretien avec Sonia Arbaci Sallazzaro, par Dirk Gebhardt

Dirk Gebhardt : Pensant à Enfield, quel type d’espace le nord de Londres représente-t-il traditionnellement et comment a-t-il évolué ?

Sonia Arbaci : Dans le Grand Londres, la division principale est, en gros, entre l’Ouest et l’Est. L’Ouest est généralement plus aisé. L’Est a toujours été beaucoup plus ouvrier, à faible revenu, là où se trouvaient les usines. En termes de migrations, l’Est de Londres est très important parce qu’il est juste à côté de la City, où se trouvait auparavant le port, et qui était traditionnellement la porte d’entrée des migrants, des Huguenots français aux Juifs, puis aux Bangladais, etc. Et le nord de Londres touche les deux.

Après la Seconde Guerre mondiale, il y a eu un gros problème de logements, auquel les différents gouvernements ont répondu par une énorme production d’habitats sociaux locatifs (les Council Estates). Des années 1950 à la fin des années 1970, plus de 80 % des habitations construits au Royaume-Uni étaient des logements sociaux. À cette époque, l’idée du logement social était celle de la mixité sociale et les logements sociaux étaient principalement destinés aux fonctionnaires, ou aux ‘travailleurs-clés’. La majorité de la population y vivant était donc issue des ‘classes moyennes’, puis des groupes à faibles revenus et un peu de groupes à hauts revenus. Le logement social était donc très mixte et géré par les autorités locales. Les migrants internationaux s’installaient en Angleterre pour travailler comme fonctionnaires, ou chauffeurs de bus, comme les Jamaïquains, recrutés dans le secteur des transports, les Pakistanais et Bangladais travaillaient principalement dans les usines, etc. L’idée était que l’État devait fournir des habitats à la main-d’œuvre, y compris aux différents groupes de migrants recrutés pour travailler dans les usines, ainsi que les services sociaux (santé, éducation, transport), pour la reproduction de la société. Il y a des migrants qui vivent dans des logements sociaux dans tout Londres, mais par exemple, il y a une plus grande concentration de Noirs caribéens et africains dans le Sud (Brixton) ; dans l’Est se trouve la communauté bangladaise qui était l’une des dernières migrations à cette époque. Et le nord de Londres (Camden, Hackney, Tottenham) présente généralement un mélange d’ethnies et de groupes sociaux, c’est beaucoup plus diversifié.

Lorsque Thatcher est arrivée au pouvoir à la fin des années 1970, elle a décidé que le logement social ne devait plus être pourvu par l’État. Seul le marché ou le secteur privé devait produire des logements et le Royaume-Uni devait devenir une société de propriétaires occupants. Elle a donc arrêté tout financement pour la construction de logements sociaux locatifs et a introduit le ‘droit à acheter’ [le ‘Right to Buy’ est un dispositif-clé de la Loi sur le logement (Housing Act) de 1980, aboli depuis en Écosse et au Pays de Galles], ce qui signifie que tous les locataires devraient pouvoir s’acheter leurs appartements. La privatisation du logement social locatif a commencé avec les groupes aisés de la ‘classe moyenne’, qui ont très vite acquis les habitations qu’ils occupaient. Les migrants et les groupes à faibles revenus avec des familles nombreuses ne pouvaient pas se permettre d’acheter, et le reste du parc social locatif est devenu segmenté et stigmatisé.

Une grande partie du parc de logements sociaux qui n’a pas été achetée par les locataires en place a été transférée aux associations de logement et des scrutins ont été organisés à cet effet. Les locataires pouvaient voter pour savoir s’ils voulaient rester avec le Council, le propriétaire actuel qui allait être de plus en plus appauvri à cause de la réduction des financements, ou être transférés à une organisation privée à but non lucratif. Les locataires savaient que le transfert à l’association signifierait probablement une augmentation de leur loyer, étant donné le coût plus élevé de l’entretien et de la gestion pour le nouvel organisme. Ainsi, de nombreux locataires, surtout à Londres, ont voté contre le transfert aux associations et leurs appartements sont restés gérés par les Conseils, ce qui a aussi permis de conserver un soutien politique local aux municipalités.

Pourquoi Thatcher voulait-elle faire ça ? Parce que la majorité des votes pour le parti travailliste provenaient des grandes villes industrielles où il y avait une grande concentration de logements sociaux. Donc, en démantelant et en privatisant les logements sociaux et en créant une telle société de propriétaires-occupants, elle obtiendrait – et c’est ce qui s’est passé – plus de votes pour les Tories.

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